ZACK AND MIRI MAKE A PORNO (2008)
Kevin Smith
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Cinéaste culte n'ayant pas été à la hauteur
des attentes depuis le Dogma de 1999, Kevin Smith demeure l'une
des figures les plus constamment frustrantes à avoir émergé
de l'explosion indépendante des années 90. Véritable
idole d'une génération de banlieusards élevés
au grunge et aux comic books, Smith s'est démarqué au
fil des ans en tant que figure publique autant sinon plus qu'à
titre de réalisateur. Depuis l'imbuvable Jersey Girl,
pénible apogée de sa veine sentimentaliste mielleuse,
ses films témoignent d'une profonde incertitude: l'auteur de
Clerks aspire manifestement à renouer avec la fortune
critique de l'étonnant Chasing Amy tout en comblant
son public cible, friand d'humour vulgaire et de références
d'initiés à la culture populaire - avec pour résultat
des films mutants, insatisfaisants, déchirés entre le
désir de faire rire et d'émouvoir à tout prix.
Des films décevants, truffés de maladresses, comme cet
inutile Clerks II dont seuls ses plus acharnés supporteurs
ont pu dire du bien. De plus en plus, Kevin Smith s'adresse au public
sectaire des amateurs de Kevin Smith; mais, paradoxalement, son cinéma
fait graduellement des concessions toujours plus évidentes aux
conventions d'un cinéma commercial américain duquel il
constituait autrefois un dérivé rafraîchissant.
Zack and Miri Make a Porno, son huitième long-métrage,
n'échappe pas à ces tares. Sauf qu'il renoue partiellement,
et de manière intermittente, avec ce qui charmait dans ses premières
oeuvres.
Les premières minutes de Zack and Miri semblent d'ailleurs
avoir été calquées sur celles de Clerks, comme
si leur objectif avoué était d'évoquer le souvenir
de ce qui demeure le film le plus emblématique de son auteur.
L'action s'est déplacée, du New Jersey vers Pittsburgh,
mais l'atmosphère de boulots minables et d'adolescence s'éternisant
demeure la même. Même la sélection musicale nous
ramène directement au début des années 90 et donne
l'impression que, si le monde réel a progressé, l'univers
de Smith s'enlise progressivement dans la nostalgie. Mais il faut bien
admettre que celle-ci est en partie inhérente à la vie
de ses personnages un peu tristes qui se rendent, dans l'une des scènes
les plus mémorables du film, à une réunion d'anciens
du secondaire où ils sont bombardés de vieux tubes tels
que Sex and Candy tout en multipliant les rencontres déstabilisantes.
Les personnages de Kevin Smith ont toujours entretenu une certaine méfiance
à l'égard de l'âge adulte, qui frappe à leur
porte mais auquel ils refusent de répondre; une situation partagée
par bien des héros de comédies américaines contemporaines,
notamment ceux des productions de Judd Apatow auxquelles Smith subtilise
l'iconique vedette Seth Rogen. L'originalité de Zack and
Miri Make a Porno repose, comme son titre l'indique, sur le fait
d'employer le tournage d'un film pornographique amateur comme catalyseur
du processus de maturation de ses protagonistes.
Évidemment, le cinéaste exploite l'immense potentiel humoristique
de cette situation aussi fréquemment qu'il sombre dans le moralisme
édifiant et le romantisme bon marché. Smith sait comment
placer une bonne farce (très) vulgaire quand il le faut, ce qu'il
accomplit avec brio à maintes reprises, mais malgré toutes
les bonnes intentions du monde il peine à trouver un moyen d'exprimer
de manière juste la surabondance de bons sentiments qui l'habitent.
Ainsi, le dernier tiers de Zack and Miri Make a Porno est à
l'image des pires moments de Clerks II: les dialogues sont
truffés d'évidences, la caméra se fait racoleuse
à souhait et la trame sonore horriblement insistante, tandis
que le scénario gomme ses audaces précédentes par
l'entremise d'une série de revirements convenus. Ce renversement
est d'autant plus frustrant que la première heure du film, entre
deux rires gras, soulève d'intéressantes idées
à commencer par celle - vaguement autobiographique - que l'art
est une manière de triompher sur la médiocrité
ambiante. Qui plus est, le cinéaste ose un début de réflexion
sur la banalisation des images pornographiques et sur la dépréciation
subséquente de l'acte sexuel; et son film joue, de manière
assez amusante, sur la nuance entre baiser et faire l'amour...
Malheureusement, Smith s'avère un réalisateur plus qu'ordinaire;
et tandis que des moyens limités conféraient à
ses premiers films un style cru, expéditif mais efficace, il
a aujourd'hui la possibilité de laisser libre cours à
ses pires inspirations formelles. Ralentis interminables, lents travellings
arrières, montages musicaux artificiels: sa mise en scène
étale sans honte une liste de clichés hollywoodiens qui
nuisent à l'authenticité émotive de ses films.
Tant et si bien que le culot de ses effronteries les plus avisées
est neutralisé par les facilités de son vocabulaire cinématographique.
Dans Zack and Miri Make a Porno, tout rentre dans l'ordre et
les ambiguïtés sont gentiment conciliées pour que
triomphe en fin de compte le bon goût et les belles valeurs. La
chute est d'autant plus frustrante qu'au préalable Smith nous
aura introduit à sa plus sympathique brochette de marginaux et
de paumés de banlieue depuis belle lurette. Certes, les habitués
trouveront leur compte en pardonnant au film ses multiples fautes -
car il s'agit bel et bien du film le plus drôle et le plus pertinent
de Smith depuis Dogma. Mais Zack and Miri déçoit
justement parce qu'il n'est pas à la hauteur de ses promesses,
parce que Smith au fil des ans semble être devenu son pire ennemi...
et qu'on en vient presque à espérer qu'il accepte de déléguer
à un autre que lui la tâche de réaliser ses propres
projets.
Version française :
Zack et Miri font un porno
Scénario :
Kevin Smith
Distribution :
Elizabeth Banks, Seth Rogen, Jason Mewes, Gerry
Bednob
Durée :
102 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
29 Octobre 2008