YOUTH IN REVOLT (2009)
Miguel Arteta
Par Laurence H. Collin
Sur le mur du déshonneur des formules appréciatives (ou
dépréciatives) toutes faites, une expression en particulier
pour témoigner de l’aversion d’un spectateur mécontent
me paraît exceptionnellement méprisable : « un film
qui ne passera pas à l’histoire ». Il ne faut pas
y voir un reproche de ma part quant à la véridicité
commune de son usage, car inévitablement, des pelletés
de productions au battage publicitaire agressif quitteront la mémoire
du grand public à peine un an après leur sortie en salles.
Il ne faut pas non plus m’attribuer un manque d’éloges
quant aux films incitant leurs fanas à clamer un statut de classique
instantané, même si j’hésite souvent avant
de brandir tel encensement - à cet effet, le passage des années
est le meilleur magistrat qui soit. Non, c’est plutôt l’abord
terriblement réducteur de la fonction de toutes les oeuvres cinématographiques
dans lesquelles telle flèche se plante qui me contrarie ; une
logique infiniment fourbe qui entendrait que la mission de chaque projet
est de lithographier son passage à tout prix, de cimenter sa
raison d’être en surpassant tous ses prédécesseurs
similaires. Je propose la remise en question de cette expression raboteuse
pour la simple raison qu’un spectateur en particulier de Youth
in Revolt aura cru bon de réduire tout son jugement à
ce simple camouflet (traduction libre ici) : « Bien que drôle
par moments, [le film de Miguel Arteta] ne dispose cependant de rien
pour passer à l’histoire ».
À cet égard, n’importe qui ayant vu le film en question
pourrait attribuer un joli petit collant d’étoile à
ce commentateur peu éclairé : Youth in Revolt
ne dispose en effet de rien qui lui permettra de vraiment passer à
l’histoire, malgré les intentions assurément honnêtes
de ses créateurs. Adaptée de la trilogie Youth in
Revolt : The Journals of Nick Twisp de C.D. Payne, cette histoire
immensément familière sur l’éveil sexuel
d’un adolescent aliéné par son entourage ignare
(donc naturellement en quête de la perte de sa virginité)
fait écho aux classes entières de teen movies ayant déjà
relaté les découvertes et périls de la puberté,
certains avec souplesse (The Sure Thing, Fast Times at
Ridgemont High et le catalogue de John Hughes, pour n’en
nommer que quelques-uns) et d’autres non (les American Pie,
EuroTrip et Sex Drive de ce monde). La route est donc
pavée pour cet amusant Youth in Revolt qui, malgré
la citation de The Graduate par son réalisateur comme
référence, ne prétend aucunement retravailler les
cordages du genre.
Nick Twisp (Michael Cera), 16 ans, semble être le seul à
chérir la prose et Frank Sinatra dans son petit univers où
ses parents divorcés (Jean Smart et Steve Buscemi) et son entourage
grossier lui font constamment envier une existence autre que la sienne.
La rencontre de Sheeni Saunders (la nouvelle venue Portia Doubleday),
cultivée et ravissante fille de parents religieux conservateurs,
attisera en lui une volonté de séduction contenue depuis
beaucoup trop longtemps - tactiques de charme auxquelles Sheeni sera,
contre toute attente, très réceptive. Quand les circonstances
les mèneront à leur séparation (le scénario
typique de la fille à papa expédiée au couvent
à la fin de son amourette d’été), Nick s’inventera
un dangereux alter ego à la fine moustache, le « Belmondoesque
» François Dillinger, pour manoeuvrer un plan de rébellion
ayant pour but de les réunir loin de leur Michigan natal et de
ses idiots leur mettant constamment des bâtons dans les roues.
On retrouve un certain quelque chose dans la construction de ce Youth
in Revolt - et je ne serais trop en mesure de l’identifier
distinctement - qui rend son visionnement intégralement sympathique,
même lorsque son débit s’apaise. Il s’agit
peut-être de son déroulement très épisodique,
dans lequel les ficelles de l’intrigue sont souvent visibles,
mais presque jamais agaçantes. Il s’agit peut-être
du fait que l’intérêt romantique de Nick est déjà
conquis à la fin du premier acte et que le dépucelage
tant convoité devienne l’objectif ultime du récit
d’une façon qui rend justice aux personnages et à
leur réalité plutôt que de servir les mêmes
desseins libidineux usés (« obtiens la fille, et tes problèmes
disparaîtront avant le générique »). Il s’agit
peut-être d’une foule d’autres détails, comme
ces quatre petites séquences d’animation qui surgissent
ici et là, la bande sonore au timing musical impeccable, ou encore
le fait qu’un rire efficient bondisse juste aux moments où
l’on croit presque à un affaissement comique prolongé.
Peu importe lequel de ces éléments détient la main
haute, leur amalgame en vient à composer un émule dynamique
et occasionnellement sensible d’une chronique de l’âge
adolescent déjà bien connue : celle de cette jeunesse
à l’intellect marginal, autant soumise à ses désirs
charnels qu’à la masse à laquelle elle refuse de
s’associer, qui serait prête à causer un bordel impensable
(et digne des pires abrutis avec lesquels elle contraste pourtant si
fortement) pour assouvir ses pulsions physiques et affectives.
N’eut été de quelques délits scénaristiques
communs, Youth in Revolt aurait presque pu faire concurrence
à la ligue du délirant Superbad, film partageant
également sa vedette. Adapté de la page à l’écran
par Gustin Nash, celui-ci s’étant déjà tiré
d’affaire avec le correct Charlie Bartlett, l’ensemble
souffre d’une inconsistance un peu bébête au niveau
de son éventail de personnages, où certains résonnent
avec l’authenticité de véritables être humains
(Nick lui-même, ses parents et Sheeni) alors que d’autres
semblent posséder la consistance du polystyrène (par exemple
le caricatural Vijay, compagnon de route improvisé de Nick, ou
Taggarty, nymphette partageant la chambre du dortoir au collège
pieux de Sheeni). L’interaction de figures tridimensionnelles
avec des rôles dont la seule fonction semble être de livrer
ici et là une réplique galvanisante ou un tournant de
situation n’épargne malheureusement pas Youth in Revolt
du malaise imprévu. Hésitant entre les gags d’observation
fuselés et l’humour gros comme ça, la tonalité
parfois imprécise du long-métrage envoie plusieurs acteurs
de talent jouer dans un entre-deux vacillant et inconfortable, les deux
exemples les plus saillants prenant la forme de Ray Liotta et Fred Willard.
C’est une inadvertance que l’on ne saurait cependant attribuer
au toujours aussi alerte Michael Cera, manifestement devenu l’icône
hollywoodienne du jeunot déconcerté à la répartie
hésitante, avec tout le talent de rigueur pour mériter
telle étiquette. Le rôle de Nick Twisp lui procure un emblème
archiconnu à assortir avec son énergie coutumière,
ce qu’il fait avec ruse, intelligence ainsi que des indications
d’une maturation évidente depuis ses derniers grands succès.
Peut-être que les admirateurs des romans d’origine célébreront
le sang-froid et l’acuité des constatations sur l'excitation
hormonale qui sont bien palpables dans ce saut au grand écran
; peut-être qu’ils rejetteront le tout pour ses quelques
facilités et penchants occasionnels de « film pour ados
». Le produit fini, sans donner aux novices comme moi l’envie
de dévorer les trois ouvrages relatant ces épisodes dans
la vie de Nick Twisp, laisse présager une série aussi
drôle que brûlante de légitimité dans son
commentaire sur la condition adolescente. Qu’il serait donc trivial
de refuser les petits enivrements que suscite cette adaptation des livres
de C.D. Payne, même si elle ne franchit pas grand sentier battu
et que le public blasé du mois de janvier vers lequel elle est
catapultée ne risque pas de créer de vagues aux alentours.
Qu'importe : les ambitions étaient modestes, les cibles sont
atteintes. Comme on dit, les pensées pertinentes valent toujours
la peine d’être répétées. Transcendance
ou pas, un bon film demeure un bon film, n'est-ce pas?
Version française : -
Scénario :
Gustin Nash, C.D. Payne (roman)
Distribution :
Michael Cera, Portia Doubleday, Jean Smart, Zack
Galifianakis
Durée :
90 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
8 Janvier 2010