YATTERMAN (2009)
Takashi Miike
Par Mathieu Li-Goyette
Malgré ses quelques qualités indéniables, Yatterman
n’est pas le film de Miike qui passera à l’histoire.
Tiré d’une émission pour enfants des années
70, la trempette multicolore du cinéaste japonais repique à
travers l’humour nippon de long en large au gré d’une
iconographie manga et d’un délire maîtrisé
au risque de souvent paraître indécent. Par contre, lorsqu’on
s’éloigne de Yatterman et que l’on jette
un coup d’oeil sur l’infinie production d’adaptations
de manga et d’anime japonais dans la dernière décennie,
l’opus de Miike ressort en tant qu’oeuvre la plus visionnaire
d’un genre encastré dans le public stéréotypé
des jeunes de 6 à 12 ans. Mené à faire ce projet
qui lui tient à coeur depuis la découverte de l’émission
homonyme en 1977, le maître japonais signe ici une longue comptine
difficile d’approche par son excentricité bien d’ailleurs
qui révèle cependant beaucoup de préoccupations
d’un cinéaste incernable - disons le simplement : le créateur
à la fois le plus inconstant et le plus productif de l’histoire
du cinéma - et qui confirme plus concrètement l’ouverture
d’esprit d’un public de la trempe de Fantasia où
le film à été accueilli chaleureusement en ouverture
de festival malgré les éternelles distances culturelles
pouvant disperser l'effet humoristique d'un tel exemple référentiel.
La structure musicale de Yatterman est entièrement dans
la répétition et le calque. D’une séquence
à l’autre, d’un combat à l’autre, on
recopie la dernière scène, ses préoccupations,
pour faire avancer un récit qui piétine dans sa propre
circularité. Gags anodins – pour ne pas dire inutiles –
des Tonzuraa et Boyacky respectivement masqués d’un nez
de cochon et d’un nez de rat font prendre à des décors
saturés de couleurs un sens complètement insensé.
Épaulant Doronjo (la servante du roi des voleurs) qui cherche
à rassembler les quatre parties d’un crâne enchanté,
le trio va de par le monde à bord de leur robot (un mecha dans
la tradition des Astroboy et Gundam) où ils
trouveront systématiquement sur leur chemin les Yatterman n°
1 et Yatterman n° 2 ainsi que leur équipe faire valloir (un
petit robot espion, un grand robot chien et puis la fille d’un
professeur Indiana Jonesque disparu). Si la mort des personnages
est ici superflue, c’est parce que Yatterman emprunte
sa structure narrative séquencielle à la télévision.
Segment après segment, les morts reviennent pour le prochain
épisode de 30 minutes que compose ce Yatterman : «
Le film ». C’est le principe révélé
de la comptine qui le fait fonctionner comme un attirail de répétition
où l’idée de climax est oubliée aux mains
d’un combat final volontairement factice et aussi peu divertissant
que tous les autres qui l’ont précédés. Yatterman
n'est peut-être qu’un vulgaire cartoon transposé
à l’écran, mais avec Miike c’est le borgne
qui est roi au royaume des aveugles.
D’une mise en scène énergique et d’un talent
tout particulier à diriger des acteurs vers des envolées
juteusement artificielles, Miike met en place les règles de sa
propre émision dans un décor qui emporte nos héros
d’Ogypt à la chaîne des Halps et par Narway et ses
contrées frigides. Alors que tout est dans le registre du gag
facile, on retrouve en creusant des airs de burlesque dans cette suite
d’épisodes de course-poursuites sans trop d’objectif
autre que de soumettre les éternels méchants à
la fougue des plus-que-parfaits bienfaiteurs du monde. Il en est bidonnant
de voir les triangles amoureux multiples s’encastrer de la reine
des bandits à Yatterman n° 1 à Yatterman n° 2
à la fille du professeur en passant par Boyacky lors d’une
scène particulièrement efficace où le masque de
chaque imposteur donne lieu de répétition à une
comedia del arte aux atours de Dom Juan. Yatterman
n° 1 -Dom Juan -poursuit le «véritable» amour
jusqu’aux quatre coins du monde en la personne de Doronjo sans
craindre de briser les coeurs, sans penser à l’amour qu’éprouve
pour lui sa contre-partie, etc. Longue évolution vers la puberté
où les premières armes-jouets (bilboquet, baguette magique,
fourchette) s’avèrent inutiles en fin de parcours lorsque
seul le courage et l’amour arrivent à triompher du mal
absolu, Yatterman est un film définitivement bizzare
aux élans poétiques louches (un rêve peuplé
d’écolières à courts jupons), mais par qui
le thème de la maturité frappera surtout un public plus
âgé.
Gros méchas-jouets-mignons aux allures de Transformers
fantasmés par un code d’humour télévisé
appliqué au film de Miike à la manière d'une légende
à un grand tracé topographique relatant l’évolution
du film pour enfant japonais, Yatterman porte en lui l’inspiration
d’un cinéaste-enfant qui revêt au plus souvent l’apparence
d’un enfant-terrible ici démasqué par la candeur
du produit fini. Des effets spéciaux époustouflants, un
montage qui manque sensiblement de rythme pour garder éveillé,
le dernier (en fait il en a déjà terminé un autre
au moment d’écrire ces lignes, c’est pour dire…)
de Miike demande l’ouverture d’esprit de se croire dans
le siège du cinéaste. Nous aussi enfants voulant être
adultes et adultes prétendant n’être plus enfants,
c’est lors d’un épilogue où les vilains abandonnent
leur masques d’emprunts pour se séparer et « aller
vivre comme tout le monde » que la larme nous vient à l’oeil.
La fête est finie, rangeons la grosse piñata fracassée,
les jouets sur le parquet et retournons faire notre boulot. La morale
est simple quoique vraie au risque de passer pour évidente aux
yeux de certains à l’instant où la caméra
s’élève et fait se rejoindre à nouveau les
chemins de ces amuseurs d’enfants[-adultes]. Un to be continued
qui se faisait attendre pour nous réconcilier avec Miike; au
moins lui, sera toujours un enfant et donc, toujours un cinéaste.
Version française : -
Version originale :
Yattâman
Scénario :
Masashi Sogo, Tatsuo Yoshida
Distribution :
Sho Sakurai, Sadao Abe, Kyôko Fukada, Saki
Fukuda
Durée :
119 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
13 Juillet 2009