YAKUZA DEMON (2003)
Takashi Miike
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le productif Takashi Miike complète en moyenne sept films par
année. S'il poursuit à ce rythme effréné
durant quelques années encore, le populaire réalisateur
japonais détiendra probablement un record mondial assez imposant
quant à la quantité de long-métrages complétés
de son vivant. Le genre de record que ses successeurs aussi déchaînés
soient-ils pourront difficilement aspirer à dépasser.
En terme de qualité réelle, cependant, cette oeuvre titanesque
s'avère une aventure filmique beaucoup moins concluante dont
la seule constante marquée est l'excès glorifié
et célébré. Un film empreint de modération
tel que Yakuza Demon s'inscrit ainsi dans le parcours de Miike
comme étant une relative étrangeté. Relative parce
qu'en fin de compte Miike y exploite les mêmes vieux thèmes
de la vengeance et de l'honneur qui s'avèrent depuis des lustres
les fondations mêmes du cinéma de yakuza.
Ainsi, l'histoire de Yakuza Demon est tout ce qu'il y a de
plus convenu et aurait pu être celle d'un film de Seijun Suzuki
dans les années 60. Deux clans ennemis, les Tendo et les Date,
se préparent à entrer en guerre. Trop pauvre pour supporter
financièrement ses alliés les Date, Muto (Koichi Iwaki)
promet qu'il éliminera un haut dirigeant Tendo. Mais son plus
fidèle yakuza Seiji (Riki Takeuchi), refusant de voir son patron
risquer sa vie, trouve un moyen de le faire emprisonner le temps de
faire la sale besogne à sa place. Bientôt, l'efficacité
redoutable de Seiji inquiétera même les Date qui ne peuvent
résister à la furie vengeresse des Tendo. Alors que les
conflits redoublent d'intensité, Seiji se trouve pris dans un
feu croisé.
Habituellement, Miike prend plaisir à détourner fort maladroitement
les conventions du film de gangster nippon en un cinéma pervers
et extrême. La retenu dont il fait preuve ici surprendra sans
doute les spectateurs habitués à ses frasques violentes.
Mais force est d'admettre que même si Miike perd de sa personnalité
distincte dans le processus, le film en tant que tel en profite grandement.
Yakuza Demon est un film de Takashi Miike pour ceux qui n'aiment
pas Takashi Miike. Malgré un certain relâchement à
mi-chemin, le rythme solide du film est entretenu par un scénario
aux pivots clairs et engageants. Certains sceptiques fanatiques du célèbre
enfant terrible tenteront de lire Yakuza Demon comme une caricature
du cinéma de yakuza générique. Mais les autres
y verront probablement une expérience narrative moins bâclée
de la part du réalisateur.
Finalement, c'est justement lorsque Miike ressort ses vieilles habitudes
de provocateur stylistique qu'il exacerbe notre lassitude. Son amour
pour la caméra à l'épaule n'a pas toujours sa place
dans les contextes où il l'emploie. Dans une scène clé
du film, il laisse la pluie envahir l'objectif. Qu'il s'agisse ou non
d'une tentative de désamorcer l'illusion cinématographique,
l'exercice ressemble plus à une mauvais blague d'étudiant
en cinéma qu'à une véritable idée. De même,
cette conclusion soudaine qui aurait pu s'avérer poignante et
brutale ressemble plus à une dernière farce que nous fait
le réalisateur: "tu es trop cool, man!". C'est tout
ce qu'a à nous dire Miike en fin de parcours.
Malgré ces défauts, Yakuza Demon s'avère
un film policier assez solide et garde le spectateur éveillé
du début à la fin. En mettant de côté son
amour de l'excès et sa risible propension aux élans de
philosophie bidon, Takashi Miike prouve avec ce film qu'il est capable
de livrer un produit efficace et bien construit. Ceux qui s'attendent
à une autre créature de la veine de Visitor Q
ou d'Audition seront déçus. Mais cette incarnation
plus commerciale de Miike a le mérite de ne pas parler au travers
de son chapeau...
Version française : -
Version originale :
Kikoku
Scénario :
Shigenori Takechi
Distribution :
Mickey Curtis, Kenichi Endo, Renji Ishibashi, Kouichi
Iwaki
Durée :
100 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
29 Juillet 2005