THE WIND THAT SHAKES THE BARLEY (2006)
Ken Loach
Par Nicolas Krief
La présence d’un cinéaste comme Ken Loach est fondamentale
dans la cinématographie mondiale. Son engagement social et son
désir de se porter à la défense du prolétariat
en font un artiste exemplaire. Il est un des rares réalisateurs
à exiger le réalisme au premier plan; le nom du responsable
de la documentation pour chacun de ses films figure même au générique
d’ouverture. Maintes fois nommé au plus grand des festivals
de film, c'est après plus de 40 ans de carrière, passant
de la télévision au documentaire jusqu’au cinéma
de fiction, qu'il reçut finalement l’ultime récompense,
la Palme d’or du Festival de Cannes, pour The Wind That Shakes
the Barley.
Le Vent se lève, de son titre français, fait
partie d’une classe à part dans le cinéma de Loach.
Contrairement à Riff Raff ou à Sweet Sixteen,
qui sont des films à portée sociale, son dernier long-métrage
rejoint les rangs de son cinéma ouvertement politique. Tel Land
and Freedom, le film relate l’histoire d’une milice,
mais cette fois elle prend place en Irlande pendant la guerre, dans
les années 1920. Ceux-ci se heurtent aux Black and Tans, une
police anglaise qui maltraitait les Irlandais. Le récit se concentre
sur l’histoire de deux frères : Teddy, militant politique,
et l’autre, Damien, jeune étudiant en médecine.
Lors d’un acte violent et gratuit perpétré pas des
Black and Tans auquel assiste Damien, ce dernier décide d’abandonner
ses études et de se joindre à la milice de son frère.
La puissance du scénario, signé Loach et son compagnon
d’écriture depuis Carla's Song, Paul Laverty,
tient du questionnement qu’il soulève. Le film ne s’arrête
pas après que le traité de paix ait été
signé et que les deux camps aient enterrés la hache de
guerre, c’est à ce moment que le film prend tout son sens.
Alors que le plus vieux des deux frères s’engage dans la
nouvelle police anglaise, Damien se met à questionner les véritables
bienfaits du traité. Ce dernier a été signé
à la hâte et n’offre, en définitive, aucune
solution profitable pour le camp irlandais, sinon que l’arrêt
des hostilités, pour un temps. Cette trêve obligeant les
Irlandais à prêter serment d’allégeance au
roi d’Angleterre va à l’encontre de ce pourquoi ils
se sont battus; elle divisa deux frères ainsi qu’un pays
au complet.
La réalisation de Loach est fidèle à elle-même,
sans compromis commerciaux ni artifices spectaculaires, seule l’authenticité
importe.Les scènes de bataille sont tout sauf romantiques et
évitent l’association à Saving Private Ryan
et autres films de guerre partisans. La mise en scène se retrouve
aussi dans la direction d’acteurs, plutôt particulière
chez Ken Loach. Aucun acteur ne doit lire le scénario avant le
début du tournage, les scènes sont distribuées
aux comédiens au fur et à mesure que le tournage progresse
afin de rendre les réactions des personnages soit spontanées
et d'éviter toute la superficialité qu’un rôle
de composition peut impliquer.
Il est contraire aux politiques de Loach d’intégrer dans
son cinéma toute forme de vedettariat. Ses acteurs sont la plupart
du temps non-professionnels et souvent résidents de la région
où le film est tourné. La présence de Cillian Murphy
et de Liam Cunningham se justifie donc par leur sympathie pour la cause
de l’Irlande, leur mère patrie. Sous la direction de Loach,
leur performance colle à la perfection avec l’esprit du
film; le cinéaste ne met jamais à profit le statut de
vedette de Murphy en montrant celui-ci comme une partie d’un tout,
c’est-à-dire une distribution égale dans le réalisme
de leur jeu. Murphy reste tout de même en tête d’affiche,
aidant à la mise en marché du film, ce qui est tout à
fait logique puisqu’une cause doit être entendue par le
plus de gens possible.
Ken Loach propose donc un document historique rempli de questions morales
sur la guerre et ses effets sur la population qui ne réussit
finalement pas à égaler le chef-d’œuvre de
son auteur, Land and Freedom. The Wind That Shakes the
Barley n’atteint pas ce parfait mélange de documentation
et de dramatisation qu’aurait souhaité voir un fan inconditionnel
de Loach comme le principal intéressé. Il s’agit
tout de même d’une œuvre complète qui se classe
dans les plus grandes fresques de son auteur. À 71 ans, Loach
en a encore beaucoup à dire, pour notre plus grand plaisir.
Version française : Le Vent se lève
Scénario : Ken Loach, Paul Laverty
Distribution : Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham,
Orla Fitzgerald
Durée : 127 minutes
Origine : Irlande, Royaume-Uni
Publiée le : 13 Février 2008
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