THE WILD BUNCH (1969)
Sam Peckinpah
Par Mathieu Li-Goyette
Le cinéma américain, diront certains, s’est toujours
défini à travers le western, seule forme d’art typique
à l’empire d’Amérique. Plus encore, on prétend
pouvoir tracer le parcours oscillant entre gloire et honte du pays par
l’idéologie extrapolée à travers ses personnages.
Les John Wayne, Cary Grant, James Stewart, Clint Eastwood et autres
maintenant perçus comme des monuments aux duels de poussière
et de gros plans resteront cependant à leur état de reliques
à tout jamais, The Wild Bunch oblige. Considéré
depuis lors comme l’archétype du western crépusculaire,
la réputation de La Horde sauvage n’est plus à
faire ni à renchérir. Fin d’une époque dans
le sens large du terme, le film raconte l’épopée
d’une bande de hors-la-loi à travers la frontière
du Mexique à fuir un groupe de chasseurs de primes assoiffés
d’or. Empruntant son récit à une plénitude
de westerns classiques, le film de Peckinpah se crée son originalité
par ses dialogues, son montage… mais avant tout en rapport de
l’époque de sa création. Fin d’une ère
de galanterie, d’héroïsme et de conquête de
l’Ouest à la recherche de nos racines, examinons de plus
près la machine archaïque bien huilée du dernier
western de l’histoire.
Dernier par son symbolisme au sein de la cinématographie-cinéphilie
américaine. Réalisé en 1969, en plein cœur
de la guerre du Viêt-Nam, la fuite vers le Mexique de Pike et
sa bande de malfrats s’orchestre autour de poursuites déchaînées
entrecoupées de scènes sereines. Lieux où les bandits
profitent du temps qu’il leur reste à passer en ce bas
monde. Dialogues vulgaires, rires exagérés, on a l’impression
de se retrouvé devant une procession funèbre ne trouvant
rien d’autre que l’esclaffe pour survivre à la confrontation
d’une mort prochaine. Poursuivie par son propre destin, la horde
sauvage se réfugie chez un général mexicain, sorte
de seigneur de guerre moderne avide d’armes et de sang à
une époque où la révolution mexicaine fait rage.
Se déroulant alors à la fin historique du western, The
Wild Bunch suit chronologiquement la tradition de ses prédécesseurs.
Où Stagecoach (1939) suggérait un voyage initiatique
vers l’ouest sauvage et où The Searchers (1956)
présentait le viol de l’établissement de ces mêmes
colons et finalement la reconquête, Peckinpah filme la fuite de
ces grandes idoles du passé à travers les stéréotypes
du genre américain (saloons, trains, villas mexicaines) et ses
cousins italiens (personnages complexés de leur passé).
Donc un hommage au genre tout en étant son dernier cri de l’âme,
The Wild Bunch représente peut-être la meilleure
version américaine du trop souvent plagié Les
Sept Samouraïs de Kurosawa. Héros d’un passé
nostalgique, la bande de Pike ne trouvera au bout de son périple
que la mort, héroïque certes, aux mains d’une bande
de 200 Mexicains échaudés, encore en pâmoison devant
leur nouvelle arme de destruction massive : la mitrailleuse. Mitrailleuse
ayant remplacée le colt, étrangers ayant remplacés
bandits, héros sans faille ayant fait place aux loques de Pike,
gloire se transformant en deuil, le mythe est ici renversé puis
anéanti au profit d’une nouvelle ère. « Tu
dis que c’est ton dernier coup, mais après celui-ci, où
iras-tu? Tu n’as nulle part où aller » lance l’adjoint
de Pike qui ne pourrait malheureusement avoir plus raison quant à
la fin inévitable de son groupe. Le cinéaste touche alors
un des points sensibles du drame de l’Amérique quant à
son questionnement perpétuel. Lancée en 1969 en protestation
évidente à la guerre du Viêt-Nam, la horde est tout
à la fois la grande allégorie de son propre pays, de ses
jeunes militaires prisonniers d’Indochine et du futur floué
du genre dans lequel il s’inscrit.
The Wild Bunch n’est cependant pas qu’une apothéose
de la nostalgie et un tract réactionnaire du combat honteux des
États-Unis, c’est étonnamment aussi une grande leçon
de montage qui servira d’inspiration à tous les cinéastes
américains qui le suivront dans les années 70. À
mi-chemin entre ces deux fonctions, l’oeuvre se voit supportée
par un groupe d’acteurs extraordinaires mené par William
Holden qui y tient ici le meilleur rôle de sa carrière
après Sunset Blvd. et c’est peu dire. La mise
en scène abusant parfois des zooms (tic typique au réalisateur)
aura cependant peut-être mal vieilli aux yeux de certains puristes
des grands paysages fordiens. En marge des stéréotypes,
elle devrait justement être surtout interprétée
en bonne et due forme à la déconstruction de cette longue
tradition de paysages épiques. N’arrivant à ses
grands ensembles que lors des ellipses où la trame sonore traditionnelle,
(qu’on sent pervertie judicieusement par le rock ‘n roll)
le déferlement de gros plans, de ralentis et de mouvements vifs
nous met dans la tête d’un diable se débattant dans
l’eau bénite de sa propre mythologie, de sa propre superstition.
Qu’on écarte maintenant les problèmes de moralité
du film qui sont beaucoup plus intéressant lorsqu’on les
observe en tant que création d’une ère du renoncement
à l’American Dream qu’à une ère
de la démagogie dans laquelle Peckinpah fut si souvent injustement
liée. N’est-ce pas Deke Thornton, chef des chasseurs de
prime et ancien frère d’armes de Pike qui renoncera finalement
au butin de la rançon. Et si face à la violence apocalyptique
du film, à la décadence dans lequel il aura plongé
tous ces héros, ne valait-il pas mieux ne rien prétendre
et profiter, mais plutôt se contenter d’y apposer une réflexion,
un deuil contemplatif où l’avenir, bien qu’incertain,
ne pourra être que la porte de sortie aux horreurs du passé?
Et si nous poussions encore jusqu’à en comparer la finale
au dénouement de la guerre du Viêt-Nam? Peuple ayant prouvé
sa grandeur par le passé par de hauts faits d’arme, il
s’est retrouvé dépassé jusqu’à
sombrer dans la décadence dont il ne pourrait que se nommer l’unique
responsable. Enfin, il ne lui reste qu'à rentrer chez lui bredouille
à la suite d’une longue odyssée de feu et de sang.
Hors de tout doute, The Wild Bunch fait parti du rare peloton
de films qui aura su faire défiler sa propre histoire sur pellicule
longtemps en avance. Synonyme d’une grande compréhension
de l’histoire dira-t-on, mais surtout d’une connaissance
sans faille et presque inégalée de ses propres mythes
fondateurs. N’est-ce pas là la mission fondamentale, depuis
lors oubliée, du western? Le western moderne en tant que cinéma
de l’anthropologie américaine : permettons-nous d’y
rêver encore de nos jours…
Version française :
La Horde sauvage
Scénario :
Walon Green, Sam Peckinpah
Distribution :
William Holden, Ernest Borgnine, Robert Ryan, Edmond
O'Brien
Durée :
134 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
25 Juin 2008