WHY WE FIGHT (2005)
Eugene Jarecki
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Comment peut-on expliquer le soudain regain d'intérêt qu'a
connu le documentaire au tournant du millénaire? Le fait que
le genre ait, par l'entremise entres autres des pamphlets ouvertement
subjectifs de Michael Moore, évolué dans une direction
plus accessible justifie sans doute en partie cette ouverture nouvelle
du public au documentaire. Mais au-delà de cette évolution
formelle au profit de l'accessibilité, on sent que le documentaire
s'est positionné par rapport à la télévision,
dont la neutralité apparente est de plus en plus souvent mise
en doute. De manière fondamentalement hypocrite, le bulletin
de nouvelles moyen prend position au niveau idéologique et politique
tout en feignant l'objectivité. Là où le point
de vue du documentaire est ouvertement révélé,
la charge idéologique de l'information présentée
au petit écran s'opère à un niveau presque subconscient.
Un public toujours plus sceptique, et surtout plus apte que jamais à
décoder le langage de l'image, aurait-il embrassé le documentaire
critique parce que désillusionné face à ces sources
conventionnelles d'information?
Le branle-bas le combat médiatique ayant entouré les événements
du 11 septembre 2001 de même que la perception des conflits découlant
prétendument de ces attaques sont les exemples récents
les plus probants du contrôle que peut exercer un gouvernement
sur la télévision. Aux États-Unis, les journalistes
auront rapidement senti le joug du pouvoir sur leur liberté d'expression
et, subtilement, une nation impérialiste aura transformé
une attaque terroriste en justification sans bornes pour asseoir son
autorité sur le monde. Grâce à la fraude et au mensonge,
la guerre en Irak a ainsi été associée à
ces attentats afin de capitaliser sur le désir de vengeance d'un
peuple, alors que le conflit en question était en réalité
motivé par d'autres intérêts autrement plus calculés.
En coulisse, les think tanks néo-conservateurs lançaient
leur croisade sanglante au nom de la liberté. Pilier de l'économie
américaine moderne, le complexe militaro-industrielle s'apprêtait
pour sa part à relancer la machine de guerre tandis que les compagnies
y étant associées se préparaient à enregistrer
des profits records.
Ceux qui s'intéressent à la question affirmeront avec
raison que Why We Fight, de l'Américain Eugene Jarecki,
n'égratigne que la surface d'une situation qui n'est finalement
plus un secret pour personne: les liens incestueux unissant le gouvernement
de son pays à l'industrie de l'armement sont notoires et ce problème
grave, soulevé dès 1961 par le président Eisenhower
lors du discours marquant la fin de son mandat, n'est pas nouveau. Néanmoins,
l'impact majeur de cette connivence sur l'actuelle politique étrangère
des États-Unis justifie que l'on y consacre un film de plus.
Sans secouer le spectateur par la force de ses révélations,
Why We Fight mérite d'être écouté
entres autres parce qu'il arrive à expliquer de manière
concise une mécanique complexe sans trop en simplifier les rouages.
Néanmoins, les cibles sont classiques et la forme plutôt
convenue. Dès lors, il devient difficile de chasser cette impression
persistante d'assister à un film que l'on a déjà
vu. Certains témoignages s'avèrent d'une grande pertinence
et le choix des images est parfois plutôt éclairé.
Pourtant, le film s'essouffle à force de tirer sur les cordes
sensibles du public. Le sentimentalisme sur lequel s'appuie la démarche
de Why We Fight est tout à fait compréhensible
lorsque l'on en considère le destinataire: le grand public américain.
Cependant, cette tendance - que partagent d'ailleurs plusieurs des documentaires
de la nouvelle vague - devient d'autant plus épuisante que le
spectateur est en droit de se demander qui écoute réellement
ce genre de films. Est-il temps de corriger le tir et de produire un
plus grand nombre de documentaires sérieux dont l'analyse se
fait plus en profondeur afin de satisfaire un public averti?
Ce sont les cinéastes qui répondront à cette question
par l'entremise de leurs oeuvres futures. Parce qu'il fait preuve d'une
logique infaillible tout en affichant une position claire, ce film aux
intentions fort louables s'avère à la fois intéressant
et foncièrement digeste. Why We Fight offre une synthèse
cohérente des informations qu'il propose. Ce simple fait l'élève
indéniablement au-dessus des bulletins de nouvelles abrutissants
et vaguement incohérents dont on nous gave à chaque jour.
N'en demeure pas moins que l'on aurait aimé assister à
un exposé plus en profondeur sur ce sujet vaste qui mérite
de toute évidence notre attention. Dans l'état actuel
des choses, Why We Fight souligne comme bien d'autres avant
lui le fait que les décisions prises par les gouvernements sont
motivées par des intérêts généralement
assez loin de ceux de leurs citoyens.
Version française : -
Scénario : Eugene Jarecki
Distribution : Joseph Cirincione, Gwynne Dyer, Dwight D. Eisenhower
Durée : 98 minutes
Origine : États-Unis, France, Royaume-Uni, Canada, Danemark
Publiée le : 12 Août 2006
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