WHIP IT (2009)
Drew Barrymore
Par Laurence H. Collin
Les rêveurs, les underdogs, les petits poissons qui deviendront
grands - d’impérissables coups de foudre au sein des mangeurs
de popcorn. Le drame sportif, valeur sûre dans le septième
typiquement hollywoodien, connaîtra ses premiers tours du chapeau
avec Rocky et Karate Kid. Leurs triomphes successifs
auprès du public auront cimenté les fondements sur lesquels
s’appuieront des ribambelles de copies carbones dans les décennies
suivantes. Inutile de tomber dans l’énumération
- même les caricatures de ces ballades relatant le chemin de la
gloire d’athlètes improbables, mais héroïques
(malgré leurs évidentes faiblesses), ont depuis longtemps
perdu leur fraîcheur. Et les femmes, dans ces univers sportifs
à dominance masculine, auront aussi eu droit à leurs montées
vers l’accomplissement personnel, peu importe la discipline à
l’honneur - viennent tout de suite à l’esprit A
League of their Own, Bend it like Beckham ou encore Million
Dollar Baby (quoique ce dernier ait une portée spirituelle
qui l’élève largement au-delà du récit
sportif traditionnel). Whip It, scénarisé par
Shauna Cross à partir d’un roman inspiré de sa propre
immersion dans le monde du roller derby, joint les rangs du sous-genre
sans grande maladresse et marque une première réalisation
plutôt réussie dans l’ensemble pour la comédienne
Drew Barrymore. Il est donc assez décevant de constater que son
adhérence à la recette éprouvée du film
de ‘‘champions sportifs en devenir’’ contraste
aussi malencontreusement avec ses thèmes de refus de la conformité
et de découverte de soi.
Whip It : à l’orée de son passage à
l’âge adulte, la jeune texane Bliss Cavendar (Ellen Page)
se voit encore participer aux insipides concours de beauté que
sa mère (Marcia Gay Harden) lui impose depuis bas âge.
Extrêmement lassée de ces compétitions ne lui inspirant
absolument rien (et d’où elle ne sort jamais gagnante de
toute façon), Bliss rêve de quelque chose à quoi
s’accrocher, même si Dieu sait qu’il n’y a pas
grand-chose de stimulant dans le trou perdu où elle et sa famille
résident. C’est la vue d’un groupe de femmes tatouées,
déchainées, libérées et sur roulettes qui
lui mettra la puce à l’oreille - juste assez pour lui faire
assister (sans l’approbation des autorités parentales,
bien sûr) à une soirée animée de roller derby
à Houston avec sa meilleure amie Pash (Alia Shawkat). Bliss se
verra totalement enivrée par le talent de ces dames coriaces
au coup de patin gracieux et au coup de coude virulent. Avec un courage
et une endurance physique qu’elle n’a jamais connu d’elle-même
auparavant, Bliss fera ses preuves et parviendra même à
joindre l’équipe des Hurl Scouts. Mais plus sa nouvelle
voie se verra exigeante, plus le risque que sa mère découvre
ladite passion clandestine haussera - que sera donc le coût de
cette éprouvante double vie, en bout de ligne? Disons tout bonnement
que l’on ne donnera pas de médaille à quiconque
s’avère capable d’en prédire le dénouement.
Dès son ouverture, le récit de Whip It donne
l’impression d’être formaté comme course à
obstacle n’ayant pour but ultime que la confrontation émotive
mère-fille, ou plutôt ce que l’on serait tenté
de désigner comme la scène du ‘‘…mais
maman, c’est ÇA que j’aime’’.
Aucune surprise, donc, dans le déroulement du film de Barrymore,
si ce n’est que de la plongée dans un microcosme trop peu
connu chez les amateurs de sports. On saluera le doigté étonnant
de la réalisatrice à manier sa caméra lors des
affrontements entre deux équipes, toujours capturés dynamiquement
et découpés sans confusion. Elle fait d’ailleurs
preuve de peu de retenue quand à la violence du sport lui-même,
blessant héroïnes et rivales à chaque match, sans
exception - ces joutes étant, il faut le dire, performées
en grande partie par les comédiennes elles-mêmes sauf dans
les plus dangereuses culbutes. Pour les scènes moins mouvementées,
la mise en scène de Barrymore privilégie la compétence
à l’originalité, laissant la voie libre à
sa distribution prodigieuse. Centré sur la composition authentique
de Ellen Page, Whip It offre ici à l’interprète
révélée au grand public dans Juno un autre
rôle d’adolescente à cheval entre deux âges,
mais cette fois-ci au caractère largement moins extraverti. Bliss
est un être dont l’intériorité, bien que propice
à un parcours très prévisible, mérite d’être
incarnée par une force tranquille plutôt qu’à
une présence à l’écran imposante. Page s’avère
donc un choix de casting judicieux : celle-ci choisit d’habiter
le personnage de l’intérieur plutôt que de l’interpréter
à gros traits, et bien qu’il se situe sans doute dans la
‘‘zone de confort’’ de la jeune actrice, celle-ci
maîtrise ses dimensions avec un timing impeccable. Elle est épaulée
par l'excellente Marcia Gay Harden, qui limite les pressants larmoyants
de son rôle et donne beaucoup d’épaisseur à
un personnage plutôt bidimensionnel sur papier. Si la scène
convenue mentionnée plus haut dans laquelle le terrible secret
de sa progéniture est découvert ne fait pas mal à
regarder (malgré ses répliques pétrifiantes de
banalité), c'est surtout parce que les deux actrices l'interprètent
davantage comme un instant où deux femmes s'exposent enfin leur
conception de la vie plutôt que comme l'affrontement familial
mélodramatique que le texte suggère.
Hélas, les instants dans lesquels la sincérité
des interprètes, tous forts attachants au passant, parviennent
à neutraliser le sentiment de préchauffé de la
trame narrative s'avèrent rares, trop rares. Malgré des
touches d'humour faisant mouche (les surnoms de derby sont d'ailleurs
très comiques), la formule n'est jamais bien loin. L'intérêt
romantique que représente un beau guitariste et chanteur de groupe
rockabilly (Landon Pigg) envers Bliss devient rapidement fleur bleue
- leur tension amoureuse culminant enfin dans une scène où
ceux-ci ont leurs premiers ébats dans une piscine, pirouettant,
s'embrassant maintes fois et se déshabillant jusqu'aux sous-vêtements
SANS REPRENDRE LEUR SOUFFLE. La bande sonore, première création
originale de The Section Quartet, double chaque moment d'émotion
ou de découverte de mélodies parfois un peu trop sûcrées,
parfois carrément dégoûlinantes, jusqu'au point
de faire espérer un peu de silence. Et c'est sans parler de la
scène requisitoire où les règlements du roller
derby sont expliqués, machinale et didactique au possible avec
son schéma gribouillé informatiquement et occupant la
moitié de l'écran.
Les intentions honorables de tous ceux derrière Whip It
sont bien senties; on ne cherche pas en aucune façon à
réinventer la roue, mais bien à raconter l'histoire d'une
marginale trouvant l'épanouissement dans une discipline sportive
méconnue. Sommes-nous en mesure de nous demander pourquoi était-il
donc nécessaire de manoeuvrer son ascension avec toutes les conventions
du genre quand un récit comme celui-ci évoque l'importance
de l'intégrité et de la différence? Whip It
n'est pas un film sur une seule femme - c'est un film sur toutes sortes
de femmes. Une scène en particulier traduit très bien
la construction du film de Barrymore - on y voit Bliss et d'autres joueuses
de derby de son équipe (comprenant Kristen Wiig, Eve, Zoe Bell
et la réalisatrice elle-même) échanger dans une
cafétéria de gymnase, déblatérant joyeusement
sur leurs blessures et sur leur plan de match. Surviendra la mesquine
capitaine de l'équipe adverse (mémorable Juliette Lewis),
qui les provoquera. Jusqu'ici, la dynamique de ce cercle de rebelles
intéressantes et indépendantes fait plaisir à regarder.
Mais cet accrochage les mènera ensuite à un foodfight
instantané : tout à coup, de nombreuses tartes à
la crème surgissent dans le tableau, faisant chavirer en un rien
de temps un moment mignon et tout en retenue vers la sottise. La sincérité
de Whip It lui permet donc de faire quelques tours de pistes,
mais le projet est vite rattrapé par son protocole usé.
Version française :
Ça roule
Scénario :
Shauna Cross
Distribution :
Ellen Page, Marcia Gay Harden, Drew Barrymore,
Sarah Habel
Durée :
111 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
23 Décembre 2009