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WHERE THE BUFFALO ROAM (1980)
Art Linson

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Bien qu'il ait ses détracteurs tant parmi les cinéphiles que parmi les plus fervents admirateurs du Dr. Hunter S. Thompson, le Fear and Loathing in Las Vegas de Terry Gilliam avait le mérite d'embrasser sans retenue l'univers déboussolant et excessif du célèbre journaliste américain. C'est exactement cet éclatement qui manque cruellement au fade Where The Buffalo Roam d'Art Linson, une comédie biographique franchement mal fichue retraçant les exploits de ce véritable icône de la contre-culture américaine avec toute l'énergie et l'ingéniosité d'un mauvais épisode des aventures de Cheech & Chong. Mettant en vedette Bill Murray dans ce rôle débile et ahuri qu'incarnera avec brio un Johnny Depp complètement défoncé dans le film de Gilliam, ce Where The Buffalo Roam intriguant, mais en fin de compte peu intéressant, souffre d'un traitement télévisuel monotone totalement en opposition avec l'exubérance de son protagoniste et de l'univers qu'il tente de recréer.

Pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, Hunter S. Thompson fut reporter pour le magazine Rolling Stone durant son heure de gloire au sommet de la vague de la contre-culture. Thompson avait comme seule et unique "approche journalistique" cette idée que la consommation effrénée d'une quantité ahurissante de drogues lui permettait de plonger dans les événements sans réellement sortir de sa psychose intense, qui servait à nourrir une vision acidulée et aigrie du régime américain. Son arrogance chaotique et son intense paranoïa en feront une figure de choc d'une nouvelle forme de journalisme plus surréaliste qu'informative.

En fait, on vantera principalement l'interprétation d'un Murray tout de même divertissant en Thompson désabusé, pince-sans-rire, marmonnant un porte-cigarette cloué au bec ces discours décousus qu'il transforme ensuite en ce fameux journalisme dit "Gonzo" pour le grand plaisir de l'Amérique contestataire des années 60 et 70. Mais, malheureusement, Where The Buffalo Roam demeure trop propre et reste prisonnier de l'univers de la sitcom générique duquel il s'approprie le rythme épisodique, l'esthétique morne et les éclairages ternes et sans expression. Rarement une figure aussi controversée et délurée de l'histoire américaine aura-t-elle été présentée de façon aussi morne: les séquences s'enchaînent sans que n'apparaisse l'ébauche d'une narration dynamique ou les traces d'un quelconque raffinement humoristique.

À vrai dire, c'est cette incapacité à définir le ton de l'ensemble qui coûte au film de Linson notre intérêt. Where The Buffalo Roam oscille entre la comédie complètement imbécile et le téléfilm biographique de dimanche après-midi avec toute l'agilité et l'assurance d'un funambule épileptique ivre. À peine a-t-il mit un pied sur la corde raide que l'autre cherche le sol quarante pieds plus bas. La chute est précipitée par l'arrivée d'un Peter Boyle franchement médiocre en Lazlo banal et tristement conventionnel. Peut-être aussi est-ce l'hallucinée version de 1998 d'un des romans clés de l'oeuvre décalée de l'auteur qui rend cette comédie par comparaison convenue et ennuyeuse.

Mais le film de Linson est tout bonnement mauvais. Alors que l'on espérait découvrir un trésor oublié du cinéma américain que l'insuccès commercial avait relégué aux oubliettes, Where The Buffalo Roam se révèle n'être qu'une piètre excuse pour présenter Bill Murray en médecin alternatif versant trop dans l'auto-prescription. Alors que cette relation tumultueuse entre l'avocat Lazlo et Thompson semble être au coeur du film, on éprouve une certaine difficulté à en saisir la nature. Reste en fin de compte une mauvaise caricature sans humour et sans vivacité de la critique sociale décapante que fut l'existence-même de Hunter S. Thompson, personnage fascinant auquel ce film pitoyable ne rend aucunement justice. Rarement un tel bazar décadent aura-t-il été aussi ennuyant.




Version française : -
Scénario : John Kaye, Hunter S. Thompson, Oscar Zeta Acosta (livre)
Distribution : Peter Boyle, Bill Murray, Bruno Kirby, Rene Auberjonois
Durée : 96 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 12 Octobre 2005