WHEN THE LEVEES BROKE: A REQUIEM IN FOUR ACTS
(2006)
Spike Lee
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Tourner n'est que l'une des étapes de l'acte de créer
un film. Une fois les images accumulées, il faut prendre du recul
et faire le tri. C'est ce processus de sélection servant à
condenser le fruit de notre labeur qui confère à l'oeuvre
audiovisuelle son efficacité et sa pertinence. Oubliez le montage
et vous êtes cuit: quelqu'un devra rappeler cette triste réalité
au pauvre Spike Lee qui, sans trop s'en rendre compte, vient de livrer
à son public la copie de travail inachevée d'un bien meilleur
documentaire ayant pour thème la catastrophe Katrina qui a ravagé
la Nouvelle-Orléans au mois d'août 2005. D'une durée
de quatre heures, le gargantuesque When The Levees Broke: A Requiem
In Four Acts n'épargne aucune image. C'est un véritable
déluge de témoignages, d'archives et d'instants de cinéma
direct que Lee déverse sur le spectateur pour tous les prétextes
imaginables: raconter, expliquer, comprendre, accuser et clore. L'entreprise
a pour principale ambition celle d'être définitive. S'emparant
du sujet comme s'il s'agissait de sa propriété exclusive,
l'auteur de Do The Right Thing reprend une fois de plus le
rôle d'avocat de la cause afro-américaine avec une ferveur
tout à fait louable.
Malheureusement, son Requiem s'éparpille dans toutes
les directions et s'étouffe sous le poids de sa propre démesure.
À force de vouloir trop en faire à la fois, Spike Lee
en vient à perdre de vue l'essentiel et délaisse ainsi
cette vue d'ensemble qui semble à première vue à
sa portée pour se perdre progressivement dans un flot d'anecdotes
sans grande importance. Travaillant énormément à
partir d'images d'archives télévisuelles, il reconstitue
dans un premier temps les événements ayant précédé
l'ouragan ainsi que la situation d'urgence chaotique ayant suivi son
passage. Aspirant à synthétiser et à ordonner l'importante
masse d'images médiatiques produites autour de la tragédie,
le réalisateur n'arrive pas à les dépasser: son
propos est cumulatif, érigé non pas à partir d'une
compréhension globale de l'événement mais plutôt
autour d'un ramassis d'images chocs produites pour alimenter les bulletins
de nouvelles. Lee s'émancipe rarement de l'absence de substance
de celles-ci.
Limité dans un premier temps par sa matière première,
When The Levees Broke consacre son second acte à placer
sur le banc des accusés à peu près tout le monde
ayant été impliqué dans la catastrophe: la réaction
engourdie de l'administration Bush à cette crise est bien entendu
la principale cible des attaques de Lee, mais c'est toute l'organisation
et la gestion des sinistrés suite à la tragédie
qui semble le révolter. S'intéressant aux motifs politiques
pouvant justifier une telle débâcle, le réalisateur
fait feu de tout bois sans pour autant cerner tous les enjeux de la
tragédie. Il mentionne en annexe, comme s'il s'agissait d'une
arrière-pensée sans grande importance, toute la question
de l'environnement et des matières premières expliquant,
à tout le moins en partie, l'actuelle situation de la Nouvelle-Orléans.
Il souligne la piètre qualité des digues servant à
protéger la ville. Mais plus que toute autre chose, et c'était
à prévoir, Spike Lee s'insurge contre ce qui demeure selon
lui une affaire de race.
Bien évidemment, Lee n'a pas totalement tort. Le problème,
c'est qu'il transforme une oeuvre à visée politique en
interminable symphonie de pleurs et de lamentations. Il circonscrit
la tragédie à la simple question raciale et martèle
de manière peu nuancée cette opinion durant quatre heures
qu'un montage plus critique aurait pu condenser en deux heures d'un
intérêt autrement plus soutenu. When The Levees Broke
n'est épique qu'en terme de durée; doit-on blâmer
les exigences du producteur HBO, qui s'attendait à obtenir un
document-fleuve à promouvoir comme un « événement
» télévisuel d'envergure?
Quoiqu'il en soit, le film de Lee que l'on espérait un brûlot
politique furieux s'étouffe tel un vulgaire feu de paille. Sa
caméra fait intrusion dans l'intimité de ses sujets et
contemple leur détresse sans trop savoir quand crier «
couper ». En fait, c'est lorsqu'il revient à ses premières
amours, la célébration de la culture afro-américaine
et de son dynamisme, que Spike Lee concocte ses plus puissantes images:
le trompettiste Terence Blanchard jouant un air mélancolique
dans les ruines d'un quartier dévasté ou cette procession
funèbre enterrant selon la tradition du coin l'ouragan. Dans
ces moments de grâce, son film débordant d'empathie pour
les victimes se fait porteur d'un espoir essentiel à la reconstruction
de la Louisiane. Toutefois, elles ne peuvent sauver du naufrage cette
entreprise aussi ambitieuse qu'elle est incomplète. Quelque part
dans ce Requiem In Four Acts se cache le film que Lee se devait
de faire. Il est tout simplement dommage que son auteur n'a pas su le
dégager.
Version française : -
Scénario :
Spike Lee
Distribution :
Harry Belafonte, Terence Blanchard, Kathleen Blanco,
Douglas Brinkley
Durée :
240 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Novembre 2006