WENDY AND LUCY (2008)
Kelly Reichardt
Par Laurence H. Collin
Il est devenu difficile pour le public du cinéma du vingt-et-unième
siècle « d’accrocher » durant le visionnement
d’une oeuvre sans trame narrative conventionnelle. Il ne suffit
que de visionner quelques bandes-annonces de films populaires pour s’exposer
à une réalité indéniable sur les attentes
d’un spectateur : les personnages, les enjeux, la montée
dramatique et parfois même une partie de la conclusion doivent
être déjà connus (et ce, de façon presque
subliminale) pour inciter l’achat d’un billet. Au centre
de ces histoires rigoureusement formatées, des personnages esquissés
le plus rapidement possible et aux motivations claires et concises prennent
vie. Ce que l’on oublie trop souvent, c’est que le récit
a tendance à nous distancier des personnages à l’écran
- une fois leurs traits établis, on ne peut les voir exister
qu’à l’intérieur d’une série
d’évènements particuliers.
Contre-exemple savoureux : la cinéaste indépendante Kelly
Reichardt, douze ans après son premier essai cinématographique
River of Grass (et deux ans après son projet le mieux
reçu, Old Joy), signe ici une oeuvre d’une sensibilité
rarement égalée en toute une année de cinéma.
Même si l’on considère qu’il s’agit d’un
film minimaliste indépendant, Wendy and Lucy est dépouillé
des conventions narratives et des codes cinématographiques courants
jusqu’à en devenir translucide. La caméra de Reichardt
ne nous montre que ce qui se passe, s’abstenant de teinter son
approche de toute forme de misérabilisme - pourtant, son impact
n’en sort pas dilué, bien au contraire.
Wendy and Lucy nous fera donc passer une heure et vingt en
compagnie d’une jeune femme fauchée dans la fin de sa vingtaine
(Michelle Williams), et de sa chienne. En route vers l’Alaska
pour y trouver un emploi, Wendy perdra Lucy à cause d’une
erreur de jugement. Elle entreprendra donc de la retrouver, coûte
que coûte, dans une ville qui n’était que transitoire
au départ. Voilà fort probablement ce que le scénario
presque au complet de l’oeuvre couvre, faisant succéder
chances et malchances dans le parcours de son personnage principal.
Wendy n’est pas développée de façon traditionnelle
- en effet, on ne sait que très peu de cette figure silencieuse
- mais les cadrages expressifs (beaucoup de longues prises silencieuses)
et surtout, le jeu touchant de retenue de la comédienne nous
élèvent bien au-delà de son anonymat social et
interpersonnel. La substitution de toute fioriture (notamment d’une
musique de fond) en échange d’une caméra rivée
sur le personnage pour la durée complète du film résulte
en une expérience magnétique. Ce type de personne sans
éclat apparent n’est pas souvent invité à
parader sur les écrans de cinéma la durée d’un
long-métrage; d’en observer une exister et tenter de se
sortir seule d’une situation désespérante, ne serait-ce
qu’un peu, possède quelque chose d’étonnamment
assez spectaculaire.
Atterrissant en pleine récession économique, Wendy
and Lucy pourrait difficilement être un film plus actuel.
Cette méditation sur le coût émotionnel d’une
vie au bas de l’échelle sociale colle tout à fait
à une réalité prenant une expansion gigantesque
de jour en jour - sans même savoir quels sont les buts à
long terme de son personnage titre, nous sommes en mesure de saisir
autant son passé que son avenir, ne serait-ce que par un coup
de téléphone à sa soeur distante ou une brève
discussion avec un groupe d’itinérants. L’extrême
parcimonie des notations psychologiques explicites doublé du
langage corporel que Williams adopte, autant en présence d’un
individu que seule, pointe vers une existence lourde et contrariante,
d’où sa soif de liberté. La réalisation de
Reichardt ne se contente cependant pas de jouer au miroir avec les états
d’âme de Wendy—ayant lieu vers la fin d’un été,
le film jouit d’une photographie posée imageant l’environnement
avec les verts et le doré, évitant ainsi avec grâce
d’utiliser le gros grain et la caméra à l’épaule
comme gage de « réalisme » facile. Aussi aux commandes
du montage, la réalisatrice évite toute complaisance en
gardant l’ensemble en dessous de 80 minutes. La courte durée
de Wendy and Lucy avantage l’ensemble de tous les points
de vue possibles, puisque la modestie intentionnelle de son film et
la petitesse des nuances dans l’approche ne garantit pas une oeuvre
aussi divertissante qu’intéressante pour tous les publics.
Tout comme les situation dans lesquelles Wendy se retrouve, le film
demande une patience que certains spectateurs ne seront pas prêts
à donner. Si le film de Reichardt est une très belle réussite
dans son format actuel, il aurait été dur de s’imaginer
la même chose si son récit avait été prolongé,
même de la façon la plus naturelle possible.
Culminant sur une finale bouleversante, cette co-production de Todd
Haynes s’imposera donc comme l’un des chef-d’oeuvres
les moins vus de 2008. On peut facilement voir tous les ingrédients
qu’il manque à Wendy and Lucy pour pouvoir le
commercialiser (même comme film prestigieux durant la saison des
galas), et même admettre que beaucoup resteront de glace devant
une approche aussi épurée. Mais la puissance d’évocation
de l’ensemble alliée à la performance troublante
de vérité de Williams défie n’importe quelle
formule d’accolade toute faite, et valide Reichardt comme une
force tranquille à surveiller au cours des années qui
suivent.
Version française :
Wendy et Lucy
Scénario :
Jonathan Raymond, Kelly Reichardt
Distribution :
Michelle Williams, Will Patton, Will Oldham, John
Robinson
Durée :
80 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
13 Mai 2009