WAR OF THE WORLDS (2005)
Steven Spielberg
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Malgré sa réputation étincelante et sa popularité
stable, le fait est que le roi d'Hollywood Steven Spielberg traverse
actuellement une période de turbulences qui s'étire depuis
le triomphe de Schindler's List. Après avoir tenté
de refaire le coup de la grande fable morale avec un Amistad
qui sombre vite dans l'oubli, il se repose le temps d'une suite tiède
et inconséquente au Jurassic Park de 1993. Viendront
ensuite le célébré mais maladroitement patriotique
Saving Private Ryan, dont la séquence d'ouverture demeure
le seul véritable moment d'anthologie, et l'étrange mais
intéressant A.I. qui divisera le public. Suivront un
autre film de science-fiction plus sombre et deux comédies légères
dont l'une demeure à ce jour son produit le plus indigeste. Lire
entre les lignes de cette récapitulation, c'est découvrir
un réalisateur en pleine crise d'identité. L'éternel
entertainer, depuis son drame sur l'holocauste, veut être
pris au sérieux. Le voilà ainsi déchiré
entre ce désir compréhensible d'être respecté
en tant qu'auteur et cette mission divine de divertir les peuples de
la Terre.
De ce dilemme découle le ton plus grave et l'atmosphère
obscure de plusieurs des plus récentes productions signées
Spielberg. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a quelques conclusions
à tirer sur l'état actuel du monde si Spielberg l'humaniste
bon enfant ressent le besoin de faire un film aussi dur et cruel que
ce War of the Worlds à saveur d'holocauste et de paranoïa
post-9/11. Qu'il ait choisi d'investir sur une valeur sure telle que
le classique roman d'H.G. Wells n'est pas en soi trop surprenant. Le
réalisateur doit certainement ressentir le besoin de prouver
à tous qu'il peut livrer un gros succès à sa guise.
Mais que l'homme derrière E.T. et Close Encounter
of the Third Kind, celui-là même qui déclarait
qu'il ne présenterait jamais la vie extra-terrestre sous un mauvais
jour, nous livre une oeuvre aussi apocalyptique en laissera plusieurs
pantois.
Or, c'est avec surprise que l'on constate que le ton impitoyable que
prend ici Spielberg pour décharger tous les malheurs du monde
sur une humanité rapace et individualiste fonctionne à
merveille. Les trois premiers quarts de War of the Worlds offrent
une leçon d'efficacité cinématographique où
se réveille le Spielberg de Jaws, ce génial manipulateur
de foule maitre de ses spectateurs. La tension est soutenue de façon
splendide tandis que la caractérisation se fait en quelques clins
d'oeil judicieux. S'ensuit l'un des plus étouffants et urgents
films d'horreur depuis le 28 Days Later de Danny Boyle. À
grands coups de plans-séquences effrénés et d'effets
spéciaux d'un bon gout remarquable, Spielberg monte un spectaculaire
divertissement grand public qui fonctionne partout où l'Independence
Day d'Emmerich échouait lamentablement. Il tempère
ses élans patriotiques et écarte la narration épique
pour se concentrer sur un drame personnel qui amplifie toute l'horreur
de la situation en plus de nourrir le suspense.
Mais suite à un moment particulièrement sordide où
le scénariste donne du fil à retordre au statut de vedette
sympathique de Tom Cruise, Spielberg l'humaniste bon enfant renait de
ses cendres pour détruire ce que Spielberg le nihiliste venait
d'accomplir. Soudainement, un scénario qui semblait voué
à se terminer dans le tourment et la misère de l'échec
humain retourne de façon bancale sur le chemin du bonheur. On
enfile tous les mauvais clichés d'une finale ratée de
film catastrophe à un rythme aussi essoufflé que celui
de l'introduction était saisissant. Et, afin de bien retourner
le couteau dans la plaie, la finale heureuse de service est si bâclé
et ridicule que l'on sent presque que Spielberg lui-même n'y croyait
pas. Perdue dans cette solide déconfiture, la sympathique solution
biologique du roman original prend l'amer gout de la mauvaise blague.
War of the Worlds frustre donc autant en fin de parcours qu'il
satisfait tout au long de sa première heure et demie. Malheureusement,
Spielberg n'y trouve jamais le courage d'assumer la conclusion logique
de la démarche avec laquelle il s'est engagé dans le projet.
Comme s'il avait réussi quelques instants à sonder l'âme
trouble de l'être humain moderne, mais qu'effrayé par ce
qu'il y avait trouvé s'était finalement réfugié
derrière le mur de sa naïveté passée. Ainsi,
un film intense et remarquablement bien fait qui avait franchement le
potentiel de s'inscrire parmi les plus grandes réussites du réalisateurs
américain s'effondre à bout de souffle dans les derniers
miles. La déception n'a d'égale que la satisfaction que
procure la majeure partie du film. Mais le dilemme du cinéaste
se poursuit à notre grand dam.
Version française : La Guerre des mondes
Scénario : Josh Friedman, David Koepp, H.G. Wells (roman)
Distribution : Tom Cruise, Dakota Fanning, Justin Chatwin, Tim
Robbins
Durée : 116 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 14 Juillet 2005
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