WALTZ WITH BASHIR (2008)
Ari Folman
Par Jean-François Vandeuren
En 1982, suite au décès du président élu
de la République libanaise Bashir Gemayel, la milice chrétienne
du pays s’introduit dans deux camps de réfugiés
palestiniens (Sabra et Chatila) avec la ferme intention d’y faire
régner sa propre justice et de venger l’assassinat de son
dirigeant. La riposte tournera cependant au bain de sang alors que les
phalangistes n’orchestreront pas tant une chasse aux coupables
qu’une véritable opération de nettoyage ethnique.
Déjà déployée sur le territoire dans le
but de contenir les attaques de l’Organisation de Libération
de la Palestine (OLP), l’armée israélienne assiste
les mains liées à ce massacre d’une indescriptible
barbarie. Exécutant son service militaire, le documentariste
Ari Folman ne se trouve qu’à quelques centaines de mètres
des camps au moment des attaques. Pourtant, malgré la nature
particulièrement traumatisante des événements dont
il a été témoin, cet épisode peu reluisant
de la vie de l’ancien soldat semble avoir été complètement
effacé de sa mémoire. Le passé reviendra toutefois
hanter le cinéaste plus de vingt ans après les incidents
alors qu’un vieil ami lui fera part d’un rêve étrange
qu’il fait déjà depuis plusieurs années et
qui est directement lié aux gestes qu’il posa durant la
guerre au Liban. Suite à ces révélations, de curieuses
images défileront soudainement dans la tête du principal
intéressé qui se reverra baignant paisiblement dans la
mer Méditerranée en compagnie de deux compatriotes avant
de croiser quelques instants plus tard des dizaines de femmes en pleurs
fuyant le lieu du carnage. Le tout poussera Folman à mener sa
petite enquête auprès d’anciens comparses, de reporters
et de psychiatres afin de faire la lumière sur la nature de ce
souvenir ainsi que sur le rôle qu’il joua personnellement
durant le conflit.
La particularité première de Waltz with Bashir
est évidemment d’avoir offert au septième art le
tout premier long-métrage documentaire entièrement animé
de son histoire. Et même si l’expérience ne risque
pas d’être répétée par un très
grand nombre de réalisateurs, le présent effort arrive
néanmoins à un moment plus qu’opportun alors que
les artisans du cinéma d’animation tentent déjà
depuis quelques années de s’attaquer à des sujets
un peu plus complexes et ambitieux, et ce, sous le regard curieux et
attentif d’un public qui semble être finalement au rendez-vous.
Il y a évidemment plusieurs liens à faire entre le film
d’Ari Folman et l’excellent Persepolis de Marjane
Satrapi et Vincent Paronnaud. Les deux films ne se rejoignent toutefois
pas que sur le plan esthétique, même s’ils utilisent
tous deux le dessin d’une manière absolument extraordinaire
pour traiter d’enjeux sociopolitiques particulièrement
lourds et délicats. Là ou les deux oeuvres se complètent
essentiellement est dans leur intention d’offrir une réflexion
à tête reposée sur des incidents ayant suscité
autant l’incompréhension que la colère - qu'il s’agisse
de la montée d’un régime qui n’aura fait qu’empirer
la situation d’un pays ou de crimes odieux perpétrés
en temps de guerre. La mémoire joue d’ailleurs un rôle
capital dans les deux cas alors qu’elle est autant utilisée
comme mécanisme narratif que comme thème central de l’essai
; Folman et le duo Satrapi-Paronnaud reviennent ainsi sur les événements
du passé pour en dresser un portrait objectif, mais aussi extrêmement
personnel. Le tout en portant une attention spécifique à
la fragilité des souvenirs dans un contexte où la surcharge
d’informations - et d'émotions - nous pousse à oublier
de plus en plus rapidement ce qui appartient pourtant à l’histoire
récente.
Le cinéaste israélien ira d’ailleurs un peu plus
loin que la plupart de ses contemporains en optant pour une approche
bien différente de celles ordinairement défendues par
le documentaire et le film de guerre - au sens large du terme. Ainsi,
grâce à un mélange particulièrement bien
dosé d’entrevues et de séquences de reconstitution,
Folman ne cherchera pas tant à présenter l’histoire
sous la forme d’un récit épique plus qu’à
s’introduire dans la psychologie de ceux ayant pris part au conflit
pour faire ressortir leur vulnérabilité et leur impuissance
dans une situation qui, en vérité, leur échappa
complètement. Évidemment, la facture visuelle proposée
par le réalisateur et son équipe demeure en soi irréprochable.
Cette mouture fusionnant à la perfection animation flash, traditionnelle
et numérique figure assurément parmi les plus majestueuses
et originales que nous ait offertes le genre au cours de la dernière
décennie. N’ayant à la base qu’une série
d’entretiens réalisés auprès de différents
témoins et intervenants pour arriver à ses fins, Folman
se servira judicieusement du médium pour reproduire les images
qu’il ne possédait jusqu’alors qu’en mots.
L’initiative lui permettra également de jouer plus librement
avec le ton de son effort et de lui attribuer quelques notes un peu
plus cyniques et satiriques. Mais le tout ne s’effectuera pas
sans certains accrochages alors que la transition entre les séquences
plus pesantes émotionnellement et celles à saveur plus
humoristique se fera parfois d’une manière quelque peu
chancelante. Le réalisateur marie néanmoins ses deux pôles
dramatiques avec tact, proposant une vision surréaliste - et
même onirique - de la guerre qu’il intensifie par le biais
d’un superbe mélange de couleurs chaudes et froides tout
en la laissant dériver au rythme des formidables compositions
néo-classiques de l’Allemand Max Richter.
Ainsi, par le biais d’une approche filmique unique et novatrice,
Ari Folman dresse un portrait sensible, effrayant et révoltant
de la guerre, soulignant avec fougue l’absurdité et la
cruauté de certains gestes perpétrés en ces temps
mouvementés tout comme l’ampleur et l’importance
de ceux qui, à l’opposée, auraient dû être
posés. Le cinéaste nous livre avec courage et un flair
visuel exceptionnel cette brillante méditation sur la perception
et la responsabilité des soldats ayant assisté - malgré
eux - à cet incident pour le moins monstrueux. Le tout par l’entremise
d’un processus narratif intégrant savamment le documentaire
dans sa forme la plus rigide comme la plus populaire aux rouages d’un
scénario autrement plus dramatique, et d’une facture esthétique
absolument phénoménale que Folman et ses collaborateurs
auront su édifier sans même avoir recours à la rotoscopie.
Mais au-delà de son immense valeur artistique, l’emploi
d’une telle démarche est surtout un moyen d’arriver
à une fin dans Waltz with Bashir. L’exercice permettra
ainsi au cinéaste de distancier son public de la réalité
qu’il tente d’illustrer tout en la lui renvoyant directement
au visage, ce qui rendra les dernières images du film encore
plus percutantes alors qu’elles seront les seules en définitive
à ne pas avoir été générées
par un logiciel d’animation. Mais si une approche aussi introspective
permettra à Folman d’analyser son propre état de
confusion, celle-ci s’avèrera néanmoins quelque
peu limitative alors que le réalisateur ne pourra qu’effleurer
certaines questions fondamentales, notamment en ce qui a trait au niveau
d’implication de son gouvernement dans l’attaque des deux
camps. Mais bien que son intention de déterrer le passé
pour éviter que l’homme ne répète les mêmes
erreurs et pour comprendre ce qui l’amène à oublier
si facilement se révèle ici un tantinet ironique, il s’agit
néanmoins d’une leçon que le réalisateur
réussit à inculquer d’une manière fort louable.
Comme quoi nous avons tous besoin de nous rafraîchir la mémoire
de temps à autre…
Version française : Valse avec Bachir
Version originale : Vals Im Bashir
Scénario : Ari Folman
Distribution : Ari Folman, Ron Ben-Yishai, Ronny Dayag, Dror Harazi
Durée : 90 minutes
Origine : Israël, Allemagne, France
Publiée le : 13 Mai 2009
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