WALK HARD : THE DEWEY COX STORY (2007)
Jake Kasdan
Par Louis Filiatrault
Cette année, le génial I'm Not There assenait
une frappe sévère au modèle classique de la fiction
biographique américaine. En embrassant l'éclatement de
la vraisemblance et de l'unité de caractère, le réalisateur
Todd Haynes y poursuivait son projet consistant à rapprocher
le genre d'une modernité toujours plus rafraîchissante,
avec une influence que le temps seul saura dégager. Et s'il serait
difficile d'affirmer qu'il s'agit d'un effort aussi constructif, il
n'en demeure pas moins que ce Walk Hard: The Dewey Cox Story
complémente agréablement cette approche révisionniste
en l'inscrivant dans le registre de la comédie populaire. À
l'instar du très amusant Talladega Nights: The Ballad of
Ricky Bobby, dont il serait le cousin légèrement
mieux ficelé, Walk Hard, écrit par le superproductif
Judd Apatow, saisit les lieux communs des aimants à Oscars et
prend un malin plaisir à exposer leurs absurdités. Le
résultat s'avère sensiblement le même, à
savoir une farce polissonne, jamais vraiment méchante, mais tout
de même hautement spirituelle et satisfaisante, rehaussée
par une maîtrise formelle remarquable et par une interprétation
de haut vol.
Enfant, Dewey Cox fut constamment diminué par les talents d'un
frère surdoué qui faisait la fierté de son père.
C'est alors que, par une journée où rien de mal ne pouvait
arriver, le petit trancha son frère d'un coup de machète
et devint la bête noire de sa famille. Le temps passa, et Dewey
rencontra le blues, qu'il maîtrisa sur-le-champ, avant d'inventer
le rock'n'roll lors d'un spectacle de fin d'année scolaire. C'est
le début d'une tumultueuse carrière au cours de laquelle,
en moins de dix ans, Cox éclipse le King, enfante quelques dizaines
d'héritiers, apprend aux Beatles qu'ils sont presque aussi bons
que les Monkees, puis rassemble en studio l'équivalent musical
de la planète entière tel un certain Beach Boy trop ambitieux.
Le tout découle sur une phase tardive où se succèdent
la déprime, les tentatives de « come-back » et, bien
évidemment, la reconnaissance ultime, accompagnée de son
chef-d'oeuvre final «résumant la vie tout entière»
de son auteur.
Biographie, on ne s'en surprend guère, inventée de toutes
pièces, Walk Hard traverse et tourne en dérision
quelques décennies de rock'n'roll tel un Forrest Gump
un peu moins ambitieux. De la même façon que Talladega
Nights, le film tire une grande partie de son mordant satirique
en sachant reproduire le lustre et la facture visuelle des grandes productions
; s'amusant allègrement avec leurs dispositifs, il gagne une
dimension d'humour cinématographique qui pouvait manquer à
une comédie instable, aussi sympathique soit-elle, comme Anchorman:
The Legend of Ron Burgundy, qui adoptait un ton similaire d'irrévérence.
La table est donc mise pour un festival de gags formidablement efficace,
servi avec brio par le caméléon John C. Reilly. La première
heure de Walk Hard est une véritable orgie de blagues
visuelles, musicales ou culturelles, au gré d'un scénario
exploitant les pires clichés avec un bonheur ignorant tout du
mot « subtilité ». Sans surprise, la seconde moitié
voit le rythme s'alourdir considérablement, mais en marchant
à l'occasion sur la frontière du dramatique sans jamais
lui laisser la chance de triompher, le film confirme un certain raffinement
fondamental à sa vision comique. En effet, si l'idée comme
l'exécution ne relèvent pas exactement du coup de génie,
la force de Walk Hard est de présenter de façon
presque crédible un récit complètement fantaisiste,
tout en signalant les mécanismes de son absurdité. Les
événements s'y enchaînent avec la plus logique des
causalités, Reilly compose un personnage « cinématographiquement
» sympathique, et le film nous laisse finalement aussi repus,
mais plus conscients, qu'une fiction conventionnelle. D'une pertinence
limitée en soi, l'effet reste franchement intrigant.
Ultimement, comme c'est le cas de tant de cinéma américain
du nouveau siècle, le problème de Walk Hard est
d'embrasser le cynisme sans pour autant verser dans la critique. Là
où I'm Not There déconstruit le genre avant de
lui proposer une alternative, cette comédie se limite à
tirer sur tout ce qui bouge, incluant les artistes les plus appréciés,
et de ne croire finalement qu'à l'autodérision, synonyme
ici d'autodestruction. Aussi générale soit-elle, cette
remarque resterait injustifiée si on ne détectait un trait
d'esprit et d'énergie franchement réjouissant au sein
des projets auxquels s'associe Judd Apatow, voire même de sensibilité
toute sincère dans un film comme le surprenant Knocked Up.
Il manque pour l'instant à son écurie la capacité
de concilier la satire et l'humanité, la démystification
et le pathos. Habilement réalisé par un Jake Kasdan parfaitement
conscient de ses effets, porté par une distribution délicieuse
ne se refusant pas les habituels « cameos », Walk Hard,
en surface, fait certainement passer un moment de cinéma tout
à fait agréable, aussi excessif et diaboliquement grossier
puisse-t-il se faire par moments. Quant à savoir s'il participe
bel et bien de la mise à mort du drame biographique, nous pouvons
encore lui laisser le temps de mijoter un peu. On se contentera de conclure
que, pour l'instant, il s'agit d'un pas dans la longue marche, difficile,
vers la bonne direction.
Version française :
Walk Hard
Scénario :
Judd Apatow, Jake Kasdan
Distribution :
John C. Reilly, Jenna Fischer, Raymond J. Barry,
Kristen Wiig
Durée :
96 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
15 Janvier 2007