VUE DU SOMMET (2002)
Magnus Isacsson
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Si l'ONF n'est plus le géant qu'il fut autrefois, sa production
documentaire demeure d'une régularité et d'une qualité
constante et hautement respectable. Preuve parmi tant d'autres de cette
affirmation, cette Vue du Sommet qu'orchestra Magnus Isacsson
lors du fameux Sommet des Amériques du 20 avril 2001 à
Québec. Durant les semaines précédants le Sommet
de même que durant le Sommet lui-même, sept équipes
de tournages suivent différents individus et différents
groupes liés à cette rencontre politique et financière
ainsi qu'aux manifestations qui prenaient place parallèlement
à l'évènement. Toutes les perceptions possibles
de l'évènement sont présentées, du volet
sécurité aux réactions du milieu économiste
en passant par toutes les variations imaginables de la masse militante
s'étant rassemblée pour l'occasion.
En résulte un documentaire assez complet qui offre une vue d'ensemble
franchement représentative de tous les enjeux et de toutes les
positions possibles face aux évènements denses et confus
de ce moment où les peuples d'Amérique sont venus réclamer
dans la rue leur droit à une démocratie authentique. En
fait, Vue du Sommet est un exemple remarquable de la méthodologie
appliquée actuellement afin de réaliser un documentaire
efficace et objectif sur un sujet donné. Gageons qu'il y avait
au départ assez de matière tournée pour créer
sept films différents sur chacun des intervenants du Sommet des
Amériques que nous présente ce montage final alternant
savamment entre diverses perspectives possibles.
En fait, on pourrait même reprocher à Vue du Sommet
son absence de point de vue. Nous avons affaire à tout sauf à
du cinéma engagé. S'enchainent les déclarations
des membres de l'organisation SalAMI et de représentants de la
CLAC sans que la caméra ne vienne favoriser quiconque. Même
les politiciens qui de toute évidence accumulent les mensonges
profitent du film d'Isacsson comme d'une tribune. Ils ont eux aussi
droit de parole à cette assemblée des opinions. Est-ce
une position lâche? C'est ce que certains disent, accusant cette
vague de documentaires de l'objectivité absolue d'évacuer
l'utilité réelle du cinéma de ses préoccupations.
Doit-on présenter les choses telles qu'elles arrivent où
offrir un point de vue au spectateur.
En bout de ligne, les deux approches se valent et se complètent.
Vue du Sommet a comme pire défaut de ne pas traiter
des enjeux internationaux liés à la ZLÉA et au
phénomène de la mondialisation. Mais compte tenu du fait
que quiconque s'intéressant au film d'Isacsson les connais probablement
par coeur, était-il vraiment nécessaire de les étaler
à nouveau? Le débat que semble vouloir soulever Vue
du Sommet, c'est celui des méthodes de protestations. Somme
toute, c'est l'action pacifique qui s'en prend à l'action directe
voire violente et vice-versa, jusqu'à un certain point... Assistons-nous
à l'échec des pacifistes au Sommet de Québec, ou
à celui des altermondialistes s'étant improvisés
terroristes amateurs?
Encore une fois, le film d'Isacsson ne livre qu'un témoignage
neutre des confrontations entre les deux mouvements et de leurs actions
respectives. Ce qu'il rend tangible hors de tout doute, c'est l'effet
néfaste de cette opposition intestinale qui divise les troupes
d'opposition à la mondialisation corporative. C'est cette conclusion
qu'il faut tirer de Vue du Sommet. Alors que leurs ennemis
sont bien organisés et s'efforcent de présenter une façade
unie et cohérente aux médias avec lesquels ils sont habitués
d'interagir, les mouvements populaires se chicanent jusque sur le champ
de bataille sur les méthodes à privilégier pour
exprimer leur mécontentement. Alors qu'un camp a un beau discours
bien préparé à vomir aux caméras, l'autre
improvise un étalement de sentiments et d'opinions qu'il a au
moins le mérite de penser réellement.
Somme toute, cette ambivalence face à Vue du Sommet
est tout simplement due au fait que les évènements qu'il
relate méritent plus qu'un seul documentaire. Mais ce melting-pot
de toutes les contradictions et de toutes les positions que nous ont
présenté sens dessus dessous en 2001 les médias
traditionnels demeure intéressant justement parce qu'il nous
offre une vue du sommet, à partir de laquelle notre vision de
ce gigantesque bordel est plus claire. Partout sur l'échiquier
se trouvent des gens qui aspirent finalement aux même choses sans
pouvoir s'entendre sur le chemin à prendre pour atteindre ces
objectifs. Peut-être est-ce la brèche fatale dans l'organisme
altermondialiste tel qu'il est maintenant, trop ouvert d'esprit et consacré
à la liberté d'opinion pour bien cibler sa charge.
Vue du Sommet n'est pas un documentaire éclatant et
définitif sur les évènements d'avril 2001, et souffre
peut-être légèrement de son absence d'esprit de
synthèse. N'en demeure pas moins qu'il dresse en moins d'une
heure et demi un portrait assez complet de la situation. Maintenant
que la fumée des gaz lacrymogènes s'est dissipée
pour de bon, peut-être est-il temps de se réunir autour
de films tels que celui-ci pour réfléchir aux erreurs
et aux points forts de ce qui n'était qu'un début.
Version française : -
Scénario :
Magnus Isacsson
Distribution : -
Durée :
75 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
11 Novembre 2005