LE VOYAGE EN ARMÉNIE (2006)
Robert Guédiguian
Par Alexandre Fontaine Rousseau
En Europe, la notion de nationalisme revêt pour la majorité
une connotation négative; elle est associée à ses
excès en tous genres, des discours de Jean-Marie Le Pen aux armées
d'Hitler. Pourtant, la puissante tradition culturelle du vieux continent
implique un certain amour de la patrie, de ses philosophes, de ses artistes
et de ses héros. Il est plus facile de rejeter en théorie
qu'en pratique notre identité. Petit pays d'à peine 3.3
millions d'habitants ayant obtenu son indépendance suite à
la chute de l'URSS, l'Arménie n'a pas encore les reins assez
solides pour assumer les coûts d'une production cinématographique
lui étant propre. C'est donc à ses plus célèbres
exilés que revient la tâche de le faire. Dans la foulée
du Canadien Atom Egoyan qui avec Ararat et Citadelle
revenait sur ses origines, Robert Guédiguian risque à
son tour le retour au bercail. Cinéaste d'une certaine tradition
française, Robert Guédiguian nous propose avec son Voyage
en Arménie d'assister à la (re)naissance d'une nation
et signe un hommage poignant à son peuple.
Désirant finir ses jours dans son pays natal, le vieux Barsam
(Marcel Bluwal) quitte la France à l'insu de sa fille Anna (Ariane
Ascaride) pour retourner en Arménie. Inquiète, celle-ci
décide d'aller le retrouver sans trop se rendre compte que son
père la lance surtout sur la piste de ses propres origines: en
arpentant le pays et en rencontrant ses habitants, c'est avec son passé
qu'Anna entrera en contact. Cet héritage culturel, c'est le lègue
d'un père rêvant que sa fille embrasse sa propre histoire.
Ici, nationalisme ne rime pas nécessairement avec chauvinisme.
C'est une affaire de famille, de fierté et, surtout, d'identité.
Chez Guédiguian, le pays au-delà des frontières
physiques est une communion spirituelle unificatrice.
Oeuvre chaleureuse, Le Voyage en Arménie repose sur
des valeurs chères à son auteur. Si Guédiguian
arrive une fois de plus à orchestrer la rencontre entre l'humain
et la politique, c'est qu'il croit encore en la noblesse de l'un et
de l'autre. Sans sombrer dans l'optimisme aveugle, son cinéma
fondamentalement humaniste et généreux est fondé
sur une croyance profonde en l'honneur de l'homme. C'est pourquoi ses
héros nationaux - Mitterand dans Le Promeneur du Champs de
Mars et, dans le cas présent, le général Yervanth
- sont fiers et filmés avec affection. À l'abris du cynisme
ambiant, le cinéma de Guédiguian n'est pas naïf pour
autant. Il traite de la corruption, du désenchantement des idéalistes
et de l'influence des marchands dépourvus d'éthique sur
le monde.
Seulement, on arrive chez lui à s'affranchir de ces obstacles
à force de courage et d'espoir: ce vieux chauffeur de taxi qu'interprète
avec conviction Romik Avinian incarne à la fois les rêves
et les ruines d'un pays que le dernier plan du film abandonne en pleine
reconstruction. Ni le passage du temps ni les frontières politiques
ne pourront l'empêcher de reconquérir ce mont Ararat qui
se profile à l'horizon, objet mythique de ses plus profondes
aspirations. Sans contredit, le message n'est pas toujours avancé
avec la plus grande des subtilités: ainsi, une jeune fille désirant
quitter le pays s'y attachera pas l'entremise d'un coup de foudre. Par
ailleurs, Guédiguian nuance son propos sur la patrie: en cette
terre marquée par la guerre la violence est un héritage
comme les autres.
Refusant de se cantonner à un seul genre, Le Voyage en Arménie
croise des éléments du mélodrame, du drame social
et du road movie sans perdre de sa cohérence. Animé par
de belles valeurs, le film confirme cette impression que Guédiguian
a trouvé une certaine niche un peu conservatrice mais noble dans
laquelle il arrive à se démarquer. Son film, mature et
raffiné, n'a rien d'une révolution. Néanmoins,
le Français y articule une belle ode à sa terre natale,
à ses contradictions et à son esprit, sans pour autant
sombrer dans la vulgaire visite guidée. Pittoresque à
plus d'un niveau, ce quatorzième film du réalisateur de
Marius et Jeanette est, comme l'espérait son auteur,
un digne ambassadeur de la nation qu'il célèbre avec amour.
Version française : -
Scénario : Ariane Ascaride, Marie Desplechin, Robert Guédiguian
Distribution : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Chorik Grigorian,
Romen Avinian
Durée : 125 minutes
Origine : France
Publiée le : 30 Octobre 2006
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