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LE VOLEUR DE CAMÉRA (1992)
Claude Fortin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Nous sommes la génération de l'image. Nous avons grandi accompagnés par la télévision et par le cinéma, mais en avons-nous profité? Ce bombardement incessant d'images a-t-il eu des effets bénéfiques sur notre imagination? L'a-t-elle détruite? La télévision est un médium aussi vide qu'il est omniprésent. Nous la regardons et l'avons en tant que société intégrée à notre mode de vie, mais elle ne nous représente pas. Elle nous gave de publicités et d'idées prédigérées, de rêves en conserve et d'informations charcutées. Elle présente l'idéal des autres et arrive à le substituer au nôtre. Nous sommes devenus au fil des ans les victimes de la télévision, que l'on utilise contre nous en l'administrant vingt-quatre heures sur vingt-quatre en guise de sédatif intellectuel. Le format comme tel, pourtant, n'est pas sans intérêt puisque contrairement au cinéma qui fonctionne en différé, il demeure en tout temps connecté directement sur le rythme du monde.

Avec son Voleur de caméra, Claude Fortin ose remettre en question cette institution culturelle sacrée qu'est la télévision. Le voleur de caméra, c'est l'histoire d'un jeune homme (Claude Fortin) qui pique un jour au coin de St-Denis et de Ste-Catherine la caméra d'un reporter en espérant ainsi se réapproprier le médium de la télé. Durant les premiers jours de sa relation avec la caméra, il ne sait trop que faire de ce nouvel objet qui lui permet de saisir la réalité, ou du moins une portion de la réalité, mais ne sert à rien sans idées pour en motiver l'existence. Il s'improvise cinéaste du quotidien, capte les images qui l'inspirent, sans trop savoir où tout cela le mènera. Finalement, il concocte un manifeste vidéo pour une télévision nouvelle qui serait à l'image de ceux qui l'écoutent. Il invente le Front de la Réappropriaton des Images du Peuple et commence à concevoir un remake du Déclin de l'empire américain en se disant qu'aucune génération n'est plus qualifiée pour traiter du sujet que la sienne. Son projet s'effondre.

Montage d'images parfois floues et souvent mal cadrées où il se passe bien souvent peu de choses, le film de Fortin peut sembler à première vue n'avoir rien de trop intéressant à offrir. Au contraire, il s'agit non seulement d'une réflexion merveilleusement juste sur l'impuissance de l'individu dans la société moderne mais aussi d'une oeuvre foncièrement sympathique et humaine qui nous permet de découvrir en la personne de Fortin un antihéros désabusé mais pourtant idéaliste. Jouant habilement sur la frontière qui sépare la fiction et le documentaire autobiographique, il développe un chaleureux hybride dont la forme épouse la pensée du personnage principal avec chaque plan.

On ne peut pas renier ses racines. Fortin est un enfant du cinéma-vérité qui aura si longtemps défini le cinéma québécois, mais son discours n'a par ailleurs rien de dépassé. En fin de compte, ce n'est que dans la forme que son cinéma a une dette envers le passé, car tout de sa critique sur le média télévisuel est plus que pertinent dans le contexte actuel. «On parle de la publicité comme d'un art, bientôt on en parlera comme d'une science.» En fin de compte, la critique qu'offre Le voleur de caméra ne se limite d'ailleurs pas qu'à la télévision que l'on peut ici percevoir comme une métaphore de tout l'ordre social actuel. Car comme le reste de la planète, c'est autour de l'argent que tourne ce petit microcosme.

Ce premier long-métrage indépendant, improvisé, vif d'esprit, franc et honnête surprend mais, surtout, donne une voix empreinte d'humour et de questionnement à une génération qui comme l'affirmait le film de Denys Arcand, ne se reconnait plus dans les institutions qui l'encadrent. Calmement furieux, Le voleur de caméra ne sombre jamais dans la facilité et rigole avec entrain de sa propre incapacité à livrer la solution à tous les problèmes du monde. Trouvant le ton juste entre la gravité du sérieux et le charme de l'humour, cette chronique attachante présente le désenchantement d'une génération entière par l'entremise des mésaventures existentielles d'un vidéographe amateur qui rêve de signer son propre Refus global. «On va le faire nous autre même, pis ça va couter bin moins cher», affirme ce petit film franchement punk dans l'âme. Quiconque a déjà souffert du syndrome de la page blanche une caméra à la main comprendra les états d'âme de Fortin.




Version française : -
Scénario : Claude Fortin
Distribution : Madelaine Bélair, Régis Boivin, Claude Fortin, Johanne Goulet
Durée : 106 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 29 Juin 2005