VIVA (2007)
Anna Biller
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il faut un certain courage pour déguiser en extravagante comédie
kitsch ce qui constitue, essentiellement, un film d'auteur au propos
très personnel sur les enjeux de la révolution sexuelle
et de l'ère post-féministe. Car, au-delà du risque
d'être mal interprétée ou, pire encore, prise au
premier degré, persiste le danger que l'expérience soit
tout simplement ratée, inefficace à trouver un juste équilibre
entre l'humour et la réflexion. L'Américaine Anna Biller
relève pourtant ce pari osé avec son premier long-métrage,
Viva, à la fois hommage hautement ludique au cinéma
soft-core des années 70 et satire subversive d'une certaine hypocrisie
culturelle. Assumant les rôles de coproductrice, décoratrice,
réalisatrice, monteuse et principale actrice de son film, Biller
signe une oeuvre à saveur de sexploitation qui frôle la
« self-exploitation »; son exploit est toutefois d'avoir
su transformer cet exercice de style au synopsis sulfureux en oeuvre
à la fois drôle, intelligente et provocante. Elle interprète
ici Barbi, une jeune femme au foyer qui découvre le mode de vie
décadent proposé par certaines utopies sexuelles après
avoir été abandonnée par un mari de carton-pâte
à la dentition un peu trop impeccable pour son propre bien.
Plus qu'une simple relecture de l'oeuvre de Russ Meyer, Viva
calque ainsi avec une remarquable exactitude le style d'une époque
pour mieux en critiquer l'esprit. Ici, tous les comportements individuels
sont influencés d'une manière ou d'une autre par des préconceptions
collectives. Qu'ils soient véhiculés par la publicité
ou imposés par des groupes sociaux, les stéréotypes
finissent dans l'univers plastifié de Viva par se substituer
au jugement personnel de personnages présentés à
la fois comme pitoyables et sympathiques. D'un maniérisme enthousiaste,
l'exercice cultive à tous les niveaux possibles sa facture artificielle
pour en venir à littéralement incarner son propos. Outre
le jeu délicieusement outrancier d'une poignée de comédiens
s'en donnant à coeur joie dans leur délirant cabotinage,
c'est l'esthétique même du film qui accentue l'impression
de faux se dégageant de l'absurde paradis banlieusard qu'il dépeint.
Le tout semble avoir été arraché aux pages glacées
d'un magazine Playboy, de l'érotisme fleur bleue omniprésent
jusqu'aux annonces de divers produits de luxe mis en évidence
d'une manière foncièrement caricaturale tout au long du
film.
D'emblée, les désirs matériaux excessifs de ces
bourgeois blasés sont définis par les impératifs
d'une société de consommation dont le ridicule, ici, est
décuplé par les exagérations formelles truculentes
de la mise en scène. Les personnages se définissent donc
en premier lieu par leur rapport aux biens qu'ils possèdent,
et comblent leur vide existentiel en habitant dans un idéal manufacturé
qui, en réalité, ne les satisfait pas. Leur bonheur est
morne, sans étincelle, et Barbi saute d'un rôle à
l'autre sans jamais se définir. Mais, après avoir été
au service de son mari dans cette cage dorée, elle va découvrir
à ses dépends que l'émancipation sexuelle n'est
pas nécessairement synonyme de liberté pour la femme.
Un hippie se précipite sur la poitrine de notre héroïne
avant même d'avoir terminé son discours sur les vertus
de l'amour libre, alors qu'un artiste véreux la viole au cours
d'une scène dont l'enrobage visuel sucré n'entache en
rien l'intensité psychologique crue. Les intérêts
de la femme ont, semble-t-il, été oubliés en cours
de route par cette révolution sexuelle imaginée par des
hommes.
En ce sens, Viva s'attaque avec la même vigueur aux prétendues
aspirations de la contre-culture qu'au conformisme de la culture de
masse. Derrière le déluge de répliques comiques
bien envoyées et la direction photo léchée se cache
surtout un discours cynique et acerbe sur la sexualité, Anna
Biller affirmant dans un élan d'individualisme blessé
que seule l'autonomie mène réellement à l'affranchissement.
La finale de son film révèle ainsi l'ampleur de son amertume:
après avoir goûté à la débauche et
à la démesure, Barbi retourne vers son éden anesthésiant
un peu moins soumise mais somme toute inchangée. À ce
moment précis du film, le spectateur sera probablement perdu
entre l'ironie du ton et l'honnêteté du fond, que Biller
concilie difficilement dans le dernier acte de ce délirant spectacle.
Toutefois, son film satisfait pleinement les attentes du cinéphile
à la recherche d'une comédie de moeurs complètement
éclatée. En tant que cirque charnel rétro reconstituant,
amplifiés par mille, les fantasmes d'une époque révolue,
Viva s'impose sur toute la ligne comme une brillante réussite;
et force est d'admettre que ce pari esthétique en est l'attrait
principal. Après tout, le film culmine sur un numéro musical
grand-guignolesque mis en scène en plein coeur d'une orgie médiévale
directement inspirée des fêtes psychédéliques
délurées du Beyond the Valley of the Dolls de
Meyer. Or, la vraie surprise que réserve aux amateurs de cinéma
sous-terrain le film de Biller, c'est un propos étrangement moins
naïf que celui du récent Shortbus de John Cameron
Mitchell sur l'amour « libre » et la libéralisation
de la sexualité. Propos dissimulé derrière un humour
saugrenu de même qu'une direction artistique haute en couleurs,
certes, mais tout de même porteur d'une certaine remise en question
plus que pertinente.
Version française : -
Scénario :
Anna Biller
Distribution :
Anna Biller, Jared Sanford, Bridget Brno, Chad
England
Durée :
120 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
11 Juillet 2007