LA VIE SECRÈTE DES GENS HEUREUX (2006)
Stéphane Lapointe
Par Jean-François Vandeuren
Ce que le cinéma et la télévision nous ont appris
au cours des dix dernières années est qu’il n’y
a pas de plus vile endroit sur Terre que la banlieue nord-américaine.
Derrière la pelouse d’un vert éclatant, la piscine
creusée, la cuisine en stainless steel et la voiture
de l’année se terrent des êtres que la quête
du succès finit par rendre misérables : des épouses
laissées à elles-mêmes, des pères se tenant
à des miles du domicile familiale, et des progénitures
qui ne savent plus trop quoi faire pour attirer l’attention de
leurs géniteurs. Le Québec aura visiblement profité
de cette vague de productions ayant suivi le American Beauty
de Sam Mendes pour se pencher sur sa propre situation à une époque
de plus en plus définie par la surconsommation et l’appât
du gain au détriment de l’éthique et de la morale.
Même Louis Saïa finit par faire suite au Voisins
de 1987 avec la série Vice Caché, infiltrant
de nouveau ces quartiers aisés surplombant les plus beaux parcours
de golf de la province afin de traiter d’enjeux un peu plus sérieux
et actuels que ce à quoi il nous avait habitués depuis
un certain temps avec ses comédies de fond de taverne. Déjà
familier avec le sujet, c’était maintenant au tour de Stéphane
Lapointe (la série Hommes en quarantaine) de faire de
cette prémisse maintes fois exploitée le sujet de son
premier long-métrage de fiction. Mais plutôt que de dresser
un portrait un peu plus posé et sensible des nombreux maux avec
lesquels la famille de classe moyenne doit actuellement composer, ce
dernier se contente ici de tourner le fer dans la plaie en s’acharnant
sensiblement sur la même image et la même mise en situation
que ses contemporains.
Les surprises se font donc plutôt rares dans ce récit érigé
d’une manière on ne peut plus mécanique par un Stéphane
Lapointe pourtant bien déterminé à livrer un constat
particulièrement incendier sur ce que signifie fonder une famille
dans une société comme la nôtre. « Amour »
est un mot que l’on fredonne abondamment dans cet univers fragile
menaçant de s’écrouler au moindre signe de faiblesse,
mais rares sont ces occasions où il traduit réellement
une pensée ou une émotion. Le cinéaste québécois
nous introduit ainsi aux membres d’une famille tout ce qu’il
y a de plus seine et fonctionnelle en apparence, comptant en ses rangs
l’homme d’affaire prospère, la mère dévouée
et la progéniture destinée à une carrière
tout ce qu’il y a de plus lucrative. Évidemment, ce beau
portrait ne serait pas complet sans la présence de l’inévitable
mouton noir qui prend ici les traits du fils excessivement introverti
qui en arrache avec les études d’architecte que son père
désire le voir à tout prix réussir. Incapable de
supporter que son poulain puisse autant traîner de la patte, l’homme
fort de notre famille modèle tentera de lui faire retrouver ses
esprits en concluant une généreuse entente avec une jolie
jeune femme afin qu’elle prétende aimer son fils. Mais
les choses ne se dérouleront pas tout à fait comme prévu
alors que ce beau cadeau se révélera vite empoisonné.
Lapointe relaie ainsi au second plan les préoccupations d’ordre
purement matériel dont fait généralement état
ce genre de scénario pour porter une attention toute particulière
à la façon dont ses personnages interagissent dans un
univers où les relations interpersonnelles ne sont définitivement
plus à l’épreuve du temps. Si, au départ,
le cinéaste québécois accorde le bénéfice
du doute à l’ensemble de ses protagonistes pour ce qui
est de l’honorabilité de leurs intentions, son récit
sombre par la suite dans un pessimisme pour le moins régressif
devant révéler l’égoïsme de la plupart
de ces êtres prêts à anéantir le bonheur de
leurs proches pour assurer le leur. Une décente aux enfers que
Lapointe orchestre d’une manière particulièrement
maladroite en accumulant les pistes de réflexion à un
rythme effarant sans réussir à mettre celles-ci au service
d’un discours moindrement cohérent et constructif. Il faut
dire que le manque total de nuance avec lequel le réalisateur
érige ses propos nuit grandement à la crédibilité
de la célébration du faux que ce dernier cherche continuellement
à mettre en pièces. Lapointe se tire tout de même
bien d’affaire sur le plan esthétique grâce à
une facture visuelle qui, à défaut de faire des étincelles,
appuie avec tact cette idée tout en n’ayant jamais l’air
surfaite ou trop plastique. Mais les efforts de ce dernier derrière
la caméra sont toutefois gâchés par la piètre
qualité des dialogues qui n’ont souvent rien de naturel
et une direction d’acteurs qui a tendance à favoriser un
jeu beaucoup trop exagéré.
D’une certaine façon, les questions que soulève
le cinéaste québécois avec son premier long-métrage
s’avèrent plus que pertinentes. Le problème par
contre est que ce dernier ne semble bien souvent avoir aucune idée
de ce dont il est en train de parler. Le cinéaste québécois
ajoute ainsi son grain de sel de manière générique
à un courant artistique pour le moins inquiétant, en particulier
à une époque où le nombre de familles éclatées
ne cesse d’augmenter et que le vieillissement de la population
est une réalité avec laquelle nous devons de plus en plus
composer. Lapointe s’aventure donc sur des chemins ardents sans
trop savoir où il va, ne concentrant ses énergies que
sur un côté de la médaille afin d’écorcher
vivement la figure du père, comme cela semble être devenu
une tradition depuis quelques temps dans le cinéma québécois,
tout en finissant par bêtement justifier le misérabilisme
de ses protagonistes par la soi-disant complexité de la vie en
milieu urbain où il est désormais impossible d’entretenir
une relation valable avec qui que ce soit aux dires du réalisateur.
La Vie secrète des gens heureux se veut ainsi un effort
opportuniste soutenant de manière suffisante un discours basé
sur des généralités que Stéphane Lapointe
se permet de défendre jusque dans le titre de son film.
Version française : -
Scénario :
Stéphane Lapointe
Distribution :
Gilbert Sicotte, Marc Paquet, Catherine de Léan,
Marie Gignac
Durée :
101 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
25 Août 2007