VIDEODROME (1983)
David Cronenberg
Par Pierre-Louis Prégent
On reconnaitra que l'influence et les méfaits du contenu télévisuel
que diffusent les stations de télévision dans les foyers
nord-américains est un sujet très actuel et fait également
l'objet d'un vif débat à savoir si des images violentes,
érotiques ou un langage vulgaire peuvent avoir un impact sur
le comportement de jeunes enfants. Avec la fétichisation de la
violence qui connait l'apogée de son succès, ainsi que
la pornographie où les actes sexuels deviennent de plus en plus
vicieux et dégradants, plusieurs considèrent qu'une trop
grande dose de télévision peut soumettre un jeune auditoire
à un inquiétant lavage cervical.
C'est justement la question que pose David Cronenberg avec son film
Videodrome. Seul détail, le film a été
fait en 1983, à un moment où le sujet n'avait pas encore
considérablement fait couler d'encre. Visionnaire, Cronenberg
signe ici un film dont, à l'époque, le thème relevait
plutôt de la fiction. C'est aujourd'hui, cependant, que sa très
grande pertinence se fait sentir. Avec toutes les interrogations qu'ont
suscité des évènements tels que ceux de Columbine,
les images puissantes, grotesques et brillamment métaphoriques
du pistolet qui se greffe à la main du protagoniste et ses projectiles
cancérigènes prennent ici toutes leurs significations.
Le film raconte la mystérieuse histoire de Max Renn, un homme
qui travaille pour une minable station de télévision qui
n'a pas les fonds pour concurrencer avec les plus grosses chaines. L'astuce
qu'il doit employer pour survivre est d'offrir aux spectateurs ce qu'ils
ne verront pas sur d'autres chaines. C'est pourquoi les émissions
diffusées sur ce canal sont truffées d'images extrêmement
violentes et de pornographie. Un jour, il réalise que l'auditoire
se lasse de la programmation actuelle et est devenue insensible au degré
de violence présenté sur les ondes. Peu après,
il met la main sur une intrigante cassette: celle de Videodrome. Videodrome
est une série d'images où violence extrême et sexualité
s'amalgament. Bref, le contenu idéal pour la station de Renn,
sans oublier que le tout est d'un réalisme confondant... Cependant,
après que sa conjointe (aux tendances sadomasochistes) s'y soit
trop intéressée et s'y retrouve en personne pour être
assassinée devant la caméra, Max tentera de découvrir
les terrifiantes origines de l'infâme programme télévisé.
Il sera ainsi plongé dans une série d'hallucinations,
de transformations psychologiques et corporelles, et dans un univers
horrible qui le métamorphosera dangereusement.
Évidemment, il est difficile de résumer un tel film. Les
images symboliques sont explicitement représentées (il
ne s'agit pas d'un film de David Lynch). Comme dans Naked Lunch
et eXistenZ, dont Videodrome est définitivement
le prédécesseur, Cronenberg communique une fascination
envers les mutations physionomiques et les objets qui deviennent organiques.
L'idée seule d'un téléviseur aux veines saillantes
qui respire ou de l'énorme fente dans le thorax de Max Renn qui
lui sert de magnétoscope, réceptacle de cassettes organiques
suffirait à le classer dans la catégorie «science-fiction».
Mais ce ne sont que des détails visuels qui viennent ici pimenter
un univers où la science-fiction, l'horreur, le drame psychologique
et la satire se complémentent à merveille.
Cronenberg marque ici un pivot crucial dans sa carrière. Avant
Videodrome, on le connaissait pour des projets de valeur cinématographique
et d'intérêt bien moindres (Rabid, Shivers,
Scanners, The Fly). Videodrome marque le
début de l'intellectualisation des films du désormais
célèbre réalisateur canadien. Évidemment,
il est clairement perceptible qu'il s'agit d'un début, mais celui-ci
est particulièrement prometteur. De plus, ce film transitoire
partagé entre la science-fiction, horreur pure et le film de
Cronenberg «traditionnel» comme on le connait ces années-ci
nous offre les avantages des deux périodes cinématographiques
du cinéaste. On a l'impression de visionner un de ces charmants
films de science-fiction des années 80 avec un concept savamment
songé, un message intelligent et des idées extrêmement
originales. Sans oublier la caméra du réalisateur, qui
narre en images un récit qu'on aurait cru impossible à
raconter. Cronenberg surprend à de nombreuses reprises avec des
mouvements de caméra diaboliquement intelligents (la séquence
lors de laquelle on croit voir Max flageller Nicki est brillante) et
une mise en cadre parfaitement adaptée, le tout baignant dans
des airs de clavier lugubres.
Niveau interprétation, nous avons droit à un James Woods
et une Deborah Harry plutôt épatants. La dualité
extrêmement contrastée que comporte le rôle de Woods
est rendue avec un extrême dynamisme, alors que nous regardons
Max Renn sombrer dans la folie meurtrière de Videodrome
qu'il redoutait tant initialement. Deborah Harry nous livre ici une
Nicki mystérieuse, fatale et mortellement tentatrice. Jack Creley,
dans le rôle du professeur O'Blivion, donne également froid
dans le dos. Le reste de la distribution remplit ses fonctions plus
qu'adéquatement.
Si le scénario comporte quelques lacunes au niveau structurel
et pourra, vers la fin particulièrement, sembler quelque peu
incomplet car les évènements s'y précipitent légèrement,
c'est majoritairement par manque de fonds, Cronenberg n'a pas pu filmer
plusieurs des scènes incluses dans le scénario original.
Néanmoins, sa richesse symbolique, son dialogue souvent mordant,
son message savamment prospectif et sa merveilleuse extravagance dans
ses idées en font un texte cinématographique original
et intéressant qui donne un avant-gout alléchant de la
seconde période du cinéma de Cronenberg.
Somme toute, même si Videodrome ne témoigne pas
d'une maturité intellectuelle aussi pointue que d'autres oeuvres
du cinéaste, ce petit film transitoire comporte de fortes qualités
qui pansent allègrement ses quelques plaies. Malgré tout,
dommage que le scénario constitue l'une d'elles, parce que l'originalité
des idées y est vraiment. Un film loin de la perfection, mais
dont le charme et l'intelligence sauront accrocher un cinéphile
atteint d'une nostalgie des films de science-fiction des années
80 et en quête d'agréables surprises.
Version française :
Videodrome
Scénario :
David Cronenberg
Distribution :
James Woods, Sonja Smits, Deborah Harry, Peter
Dvorsky
Durée :
87 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
17 Novembre 2004