V FOR VENDETTA (2006)
James McTeigue
Par Jean-François Vandeuren
Les critiques virulentes seront sûrement nombreuses à l’endroit
de cette adaptation de la bande dessinée du britannique Alan
Moore. Il faut dire que le film de James McTeigue leur ouvre constamment
la porte. Il sera en ce sens assez facile de n’y voir qu’un
film cherchant à faire l’apologie de la violence et du
terrorisme sans vouloir aller plus loin. L’effort n’y va
pas non plus de main morte dans sa charge à l’endroit de
l’administration Bush, accumulant sans gène les nombreuses
références aux attaques du 11 Septembre 2001. Tel un best-seller
de Dan Brown, V For Vendetta émet plusieurs hypothèses
et prédictions fictives basés sur l’état
bien réel de la politique actuelle. À défaut d’être
très subtiles, la plupart atteignent leur objectif de façon
redoutable. L’essai a évidemment pour but premier de secouer
les esprits endormis et de provoquer son public. Probable que plusieurs
spectateurs chez nos voisins du Sud seront outrés devant de telles
spéculations. Mais avant de crier au scandale, la question à
laquelle nous devrions tous répondre est pourquoi un tel film?
Et surtout, pourquoi maintenant?
Agissant à titre de scénaristes, les frères Wachowski
ne répètent fort heureusement pas les bévues ayant
gâché les meilleurs intentions des deux derniers volets
de la trilogie Matrix. Leurs références philosophiques
et historiques ne sont donc pas ensevelies ici sous une épaisse
couche d’abstraction et de superficialité. Le duo renoua
plutôt avec la force d’impact et l’intelligence du
premier épisode de la série et même de leur tout
premier long métrage, Bound. V For Vendetta
trace ainsi le portrait d’un Royaume-Uni rongé par un système
totalitaire. Ce récit, qui n’est évidemment pas
sans rappeler les écrits de George Orwell, débute lorsqu’une
jeune femme n’ayant pas respecté le couvre-feu est harcelée
par une bande de policiers malfaisants. Avant que la situation ne dégénère,
elle sera secourue par V, un homme masqué dont les motivations
s’inspirent de Guy Fawkes, un soldat britannique qui tenta en
vain de faire exploser le parlement anglais le 5 novembre 1605, et le
ton vengeur du Comte de Monte-Cristo. Le mystérieux personnage
s’attaquera ensuite à des cibles bien précises à
l’intérieur du gouvernement, désireux de révéler
au grand jour une vérité que tous ne seront pas forcément
prêts à entendre et accepter.
Contrairement à 1984, l’univers de V For Vendetta
n’a rien des ruines du monde grugé par la guerre du roman
de George Orwell. Celui du « graphic novel » d’Alan
Moore en est un des plus ordonnés où l’illusion
de confort fut préservé pour engourdir la population.
La peur et le contrôle médiatique sont des sujets qui ne
pouvaient évidemment pas être ignorés par le récit,
mais ils ne sont pas les cibles principales du film de James McTeigue
qui effectue plutôt un portrait d’ensemble toujours porté
sur l’offensive. Ce dernier accorde ainsi un second souffle à
une chanson fredonnée par tout film de science-fiction engagé
depuis aussi loin que le Metropolis de Fritz Lang. Le présent
effort se démarque particulièrement de par l'ingéniosité
avec laquelle il imagine une escalade que le scénario lie avec
aplomb à des événements présent. Quelques
parallèles se forment évidemment entre l’engagement
social vers lequel nous pousse V For Vendetta et celui prôné
par un film comme Fight Club. Les buts visés par les
deux exercices sont d’ailleurs similaires sur plusieurs points.
Tout comme dans le film de David Fincher, la finale inévitable
à laquelle nous mène l’essai brille non pas par
sa violence, mais par son symbolisme extrême devenant progressivement
synonyme d’harmonie et d’espoir plutôt que de chaos.
McTeigue joua également de finesse en finissant par réduire
à néant toutes notions de terrorismes associables aux
actions de V.
V For Vendetta porte à plusieurs égards la signature
des frangins Wachowski, substituant par contre l’univers techno
de The Matrix pour une esquisse beaucoup plus lugubre et théâtrale
qui ne renie toutefois jamais ses origines propres à la bande
dessinée. Outre son propos social et son récit forgés
sensiblement sur le même moule que celui de The Matrix,
l’effort s’illustre également comme un divertissement
hors pair qui n’en finit plus d’accumuler les moments forts
et les dialogues aussi riches que mémorables, même si cela
se traduit parfois par l’utilisation d’une trame sonore
quelque peu encombrante. La réalisation de James McTeigue se
veut malgré tout sobre, mais extrêmement précise.
Le cinéaste a ainsi rarement recours aux effets de style qui
auraient pu franchement nuire à l’ensemble. Une retenue
qui s’avéra d’autant plus bénéfique
lors de l’élaboration des séquences d’action
particulièrement bien dosées. La plus stylisée
du lot éclipse d’ailleurs l’entièreté
des scènes du genre des deux suites ratés au film culte
aussi sous-estimé que surestimé des frères Wachowski.
En plus d’une solide performance de la part de Natalie Portman,
Hugo Weaving se veut tout simplement sidérant dans son interprétation
impeccable du personnage de V. Par sa gestuelle et l’intonation
de sa voix, il réussit brillamment à faire oublier la
froideur du masque qu’il porte en permanence. L’esthétisme
de l’ensemble appuie également ce détail qui aurait
pu facilement faire échouer les séquences plus dramatiques.
Le choix de John Hurt pour incarner le chancelier aux allures de Big
Brother est aussi un clin d’oeil des plus judicieux, lui qui interpréta
la victime d’une telle dictature dans l’adaptation cinématographique
de 1984 de Michael Radford.
Bien sûr, V For Vendetta ne passe pas par quatre chemins
pour mettre son discours en évidence. Mais même si l’effort
manque diablement de subtilité, on ne pourra réfuter l’extraordinaire
doigté caractérisant autant le scénario somme toute
assez classique des frères Wachowski que la mise en scène
de James McTeigue. Le film s’impose ainsi comme une réflexion
politique alerte s’ajustant parfaitement aux attributs d’un
divertissement à grands déploiements orchestré
avec le plus grand soin. Les prochaines années seront déterminantes,
nous disent les cinéastes. Mais plutôt que de nous faire
la morale, l’effort prend plutôt les traits d’un gigantesque
avertissement lancé à tous les principaux concernés.
Celui-ci critiquera particulièrement l’inactivité
du plus commun des mortels avant de s’attaquer sans merci au cas
des politiciens les plus avides de pouvoirs et des terroristes en soi.
Mais au final, il n’en reviendra toujours qu’à nous
de réduire ou non la durée de vie et la portée
d’un film de cette nature.
Version française : V pour Vendetta
Scénario : Andy Wachowski, Larry Wachowski, Alan Moore
(graphic novel)
Distribution : Natalie Portman, Hugo Weaving, Stephen Rea, Stephen
Fry
Durée : 132 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 22 Mars 2006
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