VALERIE AND HER WEEK OF WONDERS (1970)
Jaromil Jires
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Quatrième partie du dossier L'Hallucination
cinématographique
Par son onirisme pastoral sombre et lumineux à
la fois, le fabuleux Valerie a týden divu s'impose comme
l'un des trésors inestimables du répertoire fantastique
du patrimoine filmique mondial. Mais, malgré son indéniable
statut culte au sein de certains cercles, le film de Jaromil Jires demeure
généralement méconnu même des cinéphiles
avertis - trop souvent assimilé à l'ensemble de la Nouvelle
vague Tchèque, et trop rarement discuté en tant que paroxysme
d'une certaine veine de surréalisme cinématographique
à saveur psychédélique. Radical au point de vue
des idées qu'il véhicule, mais traditionnel, voire folklorique,
sur le plan esthétique, Valerie a týden divu
offre un fascinant amalgame du familier et de l'étrange en plaçant
le conte de fées sous l'emprise de l'acide. L'opposition entre
le rêve et le réel y prend tout son sens, à la fois
en tant que mode discursif et à titre de métaphore, en
procédant toutefois à une inversion du rapport habituel
entre les deux paradigmes. Car, cette fois, c'est la réalité
apparente qui s'avère illusion et la vision hallucinatoire qui
révèle la vérité; et, par extension, le
mirage cinématographique lui-même est validé en
tant qu'état de conscience libéré des limitations
de la vision normale. Dans Valerie a týden divu, le
brouillage de la frontière entre rêve et réalité
est une manière de réitérer la complexité
du monde et d'affirmer le caractère trompeur des sens, le fantastique
permettant dans cette forme extrêmement raffinée d'aller
par-delà la surface des choses et d'investir visuellement le
perceptible d'une dimension idéologique.
À plusieurs égards, le film de Jires présente
un voyage qui s'apparente à ce que George Bataille qualifie d'expérience
intérieure: « J'appelle expérience un voyage au
bout du possible de l'homme. Chacun peut ne pas faire ce voyage, mais,
s'il le fait, cela suppose niées les autorités, les valeurs
existantes, qui limitent le possible. » (L'expérience
intérieure, p. 19) Fidèle à ses racines dans
la contre-culture des années soixante, Valerie a týden
divu formule un discours particulièrement méfiant
à l'égard de l'autorité - d'abord religieuse et
familiale, quoique le sous-texte possède un caractère
politique - qui y est dépeinte comme étant trompeuse et
corrompue. Mais, à un niveau philosophique, c'est aussi l'autorité
de la raison qui est contestée par ce pamphlet en faveur de l'imaginaire.
L'émancipation de la jeune rêveuse passe dans un premier
temps par sa maturation sexuelle, illustrée au moyen de la métaphore,
et subséquemment par le rejet d'un certain bagage culturel vicié
au profit de l'instinct et de la nature. En ce sens, la démarche
artistique de Jires semble marquée par l'influence du néoprimitivisme
et son propos renvoie une fois de plus à celui de Bataille qui
affirme que «le développement de l'intelligence mène
à un assèchement de la vie» (L'expérience
intérieure, p. 20). Il n'est donc pas surprenant que Valerie
a týden divu célèbre la jeunesse et la pureté
de son héroïne, vertus convoitées par des adultes
que le film n'hésite pas à transformer en vampires assoiffés
de sang.
S'il puise son imagerie dans le folklore d'Europe de l'Est, Valerie
a týden divu n'est pas au point de vue narratif héritier
des contes de fées dont il s'inspire manifestement au niveau
visuel et thématique. Par sa forme fluide, évoquant le
rêve tant par sa logique décousue que par ses multiples
ellipses, le film tente d'orchestrer à partir de la matière
onirique évanescente un authentique songe articulé. Le
développement du récit n'y est donc plus dicté
par les agissements des protagonistes, mais bien au contraire par la
progression de l'hallucination. Valérie, abandonnée au
milieux de ses visions, erre en spectatrice à demi-consciente
d'une scène à l'autre comme portée par le flot
des événements. Il existe généralement une
sorte de mur invisible entre la rêveuse et l'action, une frontière
qui rappelle celle qui sépare le public du film projeté.
Cette division accentue une sensation d'abandon face aux visions, dictées
par une force extérieure - que ce soit le subconscient dans le
cas du rêve ou la volonté du réalisateur dans le
contexte cinématographique. D'où cette idée de
voyage intérieur, où il n'y a plus d'actions mais uniquement
des idées cristallisées en images, plus d'histoire au
sens classique du terme mais uniquement un cheminement vers cette vérité
qui était jusqu'alors voilée aux yeux de Valérie
par les autorités, les valeurs existantes, dont elle apprend
à se détacher au fil du rêve.
Valerie a týden divu se situe en plein coeur de ces
visions. Il ne reste par conséquent presque aucune trace du réel
faussé dont se libère l'héroïne, tout au plus
quelques indices qui sont rapidement contaminés par l'hallucination.
Le film tout entier se déroule dans cette nouvelle conscience
où tombe le masque hypocrite apposé sur la réalité
par le monde adulte et ses institutions, et c'est à cet égard
qu'il s'avère unique; les quelques instances de réalisme
correspondent plus que les plus extravagantes fantasmagories à
un royaume illusoire, où l'appareil des apparences sert à
dissimuler les appétits carnassiers et les désirs égoïstes
d'une classe dominante qui, sous le prétexte fallacieux de protéger
la population, en profite pour assouvir à ses dépens ses
plus bas instincts. D'où le climat cauchemardesque de certaines
séquences, au cours desquelles les monstres du réel tentent
de réaffirmer leur contrôle sur la jeune fille fuyant leurs
manipulations. Le film oscille ainsi entre les atmosphères, glissant
de la fantaisie légère au songe tourmenté en un
seul souffle.
Comme le soulignait Jodorowsky avec la narquoise finale de son auto-critique
The Holy Mountain, le médium cinématographique
est prisonnier du régime de la représentation et fonctionne
lui-même à titre de forme d'autorité sur la conscience
du spectateur. Pour ces raisons, la libération qu'il procure
est relative, purement culturelle et non spirituelle. Mais en admettant
d'emblée que le monde réel en est un de faux-semblants
et d'illusions pour ensuite se détacher de toute prétention
réaliste, Valerie a týden divu accuse la réalité
des mêmes fautes que l'on pourrait attribuer au cinéma.
Proposant en guise de contre-poison le langage de l'hallucination, l'oeuvre
de Jires oppose son propre univers à celui qu'il combat - un
univers où le rêve n'est plus une simple dimension cloisonnée
de la conscience humaine mais bien une force lucide qui envahit la réalité
et la confronte à une vision nouvelle. L'élément
fantastique de sa forme est par conséquent plus qu'une simple
frivolité: c'est le canal par lequel s'émancipe le spectateur
et grâce auquel le cinéma devient par-delà le vulgaire
simulacre une forme de résistance et une utopie en soi.
Version française : -
Version originale : Valerie a týden divu
Scénario : Jaromil Jires, Ester Krumbachová, Vítezslav
Nezval (roman)
Distribution : Jaroslava Schallerová, Helena Anýzová,
Petr Kopriva, Jirí Prýmek
Durée : 77 minutes
Origine : Tchéchoslovaquie
Publiée le : 7 Septembre 2009
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