UP IN THE AIR (2009)
Jason Reitman
Par Laurence H. Collin
Thank You for Smoking l’avait présagé,
Juno l’avait confirmé, et Up in the Air
le garantit : Jason Reitman est un cinéaste faisant preuve d’un
jugement exceptionnel pour propager ses créations. Agencé
tel un complet-cravate princier sur un exécutif charismatique,
son plus récent film dispose de tous les atouts nécessaires
pour encombrer ses tablettes de statuettes dorées ainsi que procurer
un ''petit velours'' commercialement très viable aux cinéphiles
durant la saison des fêtes. De son casting impeccable à
ses inattaquables faux-fuyants sur la nature impondérable du
bonheur, de sa facture raffinée et stimulante à ses accents
graves occasionnels mais sentis, Up in the Air semble avoir
été échafaudé dans l’optique de pourvoir
autant une audience d’appétit pour une cordiale ballade
hollywoodienne tragi-comique que celle mandant matière à
réflexion. Co-adapté d’un roman de Walter Kirn jugé
nettement plus amer par Reitman lui-même, ce troisième
long-métrage du réalisateur montréalais se distingue,
tout comme ses prédécesseurs, par son équilibre
maintenu avec un savoir-faire rigoureux entre substance et accessibilité.
Ce type de calibrage difficile à manoeuvrer, mais souvent fructueux
pour la production elle-même, compromis permettant à pratiquement
tous les types d’auditoires de se retrouver choyés, atterrit
néanmoins ici avec un bémol mineur mais difficile à
ignorer : celui du sentiment que l’oeuvre déjoue le truisme
avec grâce, mais s'avère en bout de ligne satisfaite de
ses principes assez élémentaires.
Les premiers miles de Up in the Air assurent, s’ouvrant
sur (encore une fois, sous les commandes de Reitman) un générique
qui met l’eau à la bouche. Alors que Thank You for
Smoking s’amorçait avec une infographie relevée
d’emballages de cigarettes rétro et que Juno était
entamé par la déambulation bédéesque de
sa protagoniste, le réalisateur choisit ici de segmenter des
prises de vue aériennes d’étendues étatsuniennes
sous l’air de This Land is Your Land de Woody Guthrie,
repris par Sharon Jones & the Dap-Kings en mode funk. Rapidement,
la cadence de vie de Ryan Bingham (George Clooney) nous est exposée
: passant à travers les procédures de sécurité
à l’aéroport comme l’on remonte sa montre,
dînant dans de copieux restaurants pour ensuite s’endormir
dans des suites hôtelières douillettes, celui-ci passe
la majorité de son année loin de son appartement coquille
vide au Nebraska. Son gagne-pain? Congédier les employés
de sa filiale aux quatre coins du pays, ces pauvres gens dont le poste
est passé sous le couperet dû à l’état
économique chancelant de leur nation. Entre deux renvois, Ryan
anime des conférences plutôt faciles sur l’accomplissement
personnel. Entre deux conférences, une partie de jambes en l’air
avec Alex (Vera Farmiga), celle-ci se désignant elle-même
comme son homologue féminin (‘‘Think of me as
yourself with a vagina’’) - cela dit, seulement quand
ceux-ci ont la chance dans leurs déplacements de se retrouver
dans la même ville. Tout à fait à l’aise avec
son mode de vie dépourvu d’engagement émotionnel,
Ryan en viendra cependant à se questionner quand on lui accaparera
la tâche de former professionnellement la jeune Natalie (Anna
Kendrick), carriériste énergique et un brin coincée
qui lui reprochera son contentement d’une spiritualité
nomade.
On peut immédiatement entrevoir l’attrait que présente
l’adaptation cinématographique d’un tel récit
alors que l’Amérique, connaissant sa plus douloureuse récession
économique depuis le krach boursier de 1929, renoue avec le chômage
de masse. Ryan Bingham, pion exécutif rattaché à
sa valise et comptant ses Air miles par choix plutôt que par obligation,
saurait incarner l’âme idéale pour recevoir les impressions
ravageuses de ces travailleurs mis à pied, tout en personnifiant
un point de vue externe de leur triste situation. Étant lui-même
une composante de ce climat corporatif frigide contraignant des licenciements
par milliers (et ce, peu importe l’ancienneté ou l’expérience),
Ryan permet donc un certain dialogue entre les gens d’en haut
et ceux d’en bas, ces derniers étant la plupart du temps
réduits à de simples statistiques plutôt qu’alloués
à manifester leur désarroi en personne. Reitman emploie
donc un procédé particulier pour traduire cet échange
: plusieurs montages d’entrevues authentiques filmées dans
bon nombre de villes avec de vrais employés destitués,
ceux-ci reproduisant leur ébranlement devant la caméra
comme si leur interlocuteur fictif venait juste de leur annoncer la
nouvelle difficile. Si ces tentatives de commentaire sociétal
ne tombent pas exactement à plat, exhibant même quelques
solides instants de droiture conceptuelle grâce à des témoignages
emplis d’émotion se complétant bien l’un l’autre,
leur usage est ultimement gâté par les apparitions distrayantes
des comédiens Zach Galifianakis et J.K. Simmons, dont l’envergure
de bien-aimés dans la comédie donne à la technique
privilégiée des airs de mauvaise plaisanterie. Une fois
ces intermèdes frappants, mais à la ponctuation douteuse,
survenus, il faudra savoir patienter avant de palper à nouveau
ce fond d’affliction avéré, la gravité du
scénario allant subséquemment battre en retraite pour
un tronçon considérable du long-métrage.
Tout compte fait, le film de Reitman ne paraît pas mirer une peinture
sociale extrêmement élaborée, son enjeu central
étant bien élucidé à mi-chemin : le bonheur
de Ryan Bingham. Certes, s’il est plutôt décevant
de constater l’absence de progression dans son discours sur la
gestion des rapports humains dans une période d’implosion
économique, Up in the Air convie néanmoins une
étude de caractères très potable. Sans parfaitement
contourner certaines facilités sentimentales, le film est articulé
autour d’un trio de personnages dessinés et interprétés
avec suffisamment de profondeur pour surpasser leurs canevas. La conversation
qu’entretiennent Ryan, Alex et Natalie à la suite d’une
peine d’amour affligeant cette dernière, fort probablement
la scène la plus fine de l’ensemble, expose distinctement
les espérances et aspirations face à la vie de chacune
de ces personnes; Ryan et Alex, deux êtres d’apparence comblés
par leur existence migratrice, se révéleront pourtant
des individus plus complexes et tourmentés que leur philosophie
coulante laisse présager, et Natalie n’en sera pas à
son premier désenchantement. Le volte-face du troisième
acte engendré par le mariage de la petite soeur de Ryan aura
déjà été critiquée par plusieurs
comme pivot moralisateur, voire conservateur - il est vrai que la comparaison
entre la réalité lassante et solitaire de Bingham et la
promesse d’un avenir rayonnant dans l’union matrimoniale
de sa soeur laisse d’abord cette impression. Pourtant, cet important
changement de perspective quant au quotidien barbant de son protagoniste,
ce renouveau intérieur terrant une piste vers une conclusion
étonnamment mélancolique, met justement en relief le tempérament
changeant de ce bien-être qui semblait totalement acquis pour
une personne, et qui possède la capacité de se tarir à
la suite d’un seul évènement, d’une seule
rencontre bouleversante. Par des indices subtils répandus à
travers une mise en scène sensiblement plus méditative
que celle qu’arborait ses projets précédents, Jason
Reitman, s’il rend manifeste le fait que Bingham ne trouve pas
rédemption immédiate ni illumination, fait pencher ce
dernier vers une mutation morale scrupuleuse, permettant ainsi de faire
ressurgir le fond maussade qu’il avait invoqué plus tôt
dans son récit, puis mis en sourdine.
Bonnes observations, bon film. Il ne manque donc pas énormément
à cet Up in the Air pour être en mesure d’épauler
tous les lauriers affichés sous son titre au bout d’une
année cinématographique assez quelconque. Tel qu’attendu,
les visages sont attachants, et leurs performances uniformément
adroites : George Clooney applique toujours son tact viril et désinvolte
sans une trace de lassitude, bien qu’il n’occasionne rien
de bien grand pour se distancier de l’aura ‘George Clooney’,
alors que la jeune Anna Kendrick trouve approximativement la bonne proportion
d’acerbité et d’anxiété à jauger
à son rôle tour à tour agaçant et vulnérable.
Enfin, la limpide et élégante Vera Farmiga resplendit
alors qu’elle parvient à communiquer les initiatives de
son personnage avant même que ses répliques ne les signalent.
Le trajet jusqu’à destination est agréable, consensuel
- précisément les traits qui obstruent son potentiel de
film important, vues ses thématiques pesantes, à vraiment
prendre son envol. Mais un film important Up in the Air n’est
pas, et encore moins un coup de maître - rien de vraiment problématique,
direz-vous, et avec raison. Il n'y a pas une réplique fâcheuse,
une seconde imbuvable dans ce visionnement dégagé et aux
réparties souvent drolatiques. Alors pourquoi cette impression
que la sûreté chaleureuse et coutumière du cinéma
de Jason Reitman pourrait éventuellement ne plus lui garantir
l’appui de tous lors de la saison des galas?
Version française : Haut dans les airs
Scénario : Jason Reitman, Sheldon Turner, Walter Kirn (roman)
Distribution : George Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick, Jason
Bateman
Durée : 109 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 26 Décembre 2009
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