UNIVERSALOVE (2008)
Thomas Woschitz
Par Louis Filiatrault
Si la tendance actuelle est bel et bien au récit multiple et
à l'éclatement des frontières, le réalisateur
Thomas Woschitz en est soit le plus grand des génies (ce qui
est peu probable), soit le pire des poseurs. En effet, son film Universalove
s'inscrit dans ce courant d'une façon tellement frontale qu'il
est impossible de croire qu'il n'ait pas étudié soigneusement
le schéma contemporain afin de mieux le reproduire. De même,
il y fait montre d'une telle insignifiance qu'il est tout aussi difficile
de s'imaginer le cinéaste en contemplation du plein potentiel
artistique de son projet. Récupérant sans équivoque
les éléments stylistiques de l'inévitable Babel
(photographie granuleuse et contrastée, mouvements erratiques,
prépondérance des gros plans...), Universalove
se présente également (et ouvertement, créditant
le groupe Naked Lunch comme co-auteurs de l'oeuvre) en tant que «
film musical nouveau genre », mais se révèle aussi
à cet égard tellement pataud et tapageur qu'il devient
franchement ardu de lui trouver des qualités.
Le « scénario » d'Universalove (qu'on suppose
griffonné rapidement sur une pile de serviettes de table tant
il est brouillon) repose sur un amas de situations éculées
ou improbables. Les reproches souvent adressés à la forme
« chorale » prennent ici tout leur sens: situées
aux quatre coins du globe (mais jamais en dehors des grandes villes),
six histoires balancées sans la moindre mise en contexte culturelle
significative s'entrecoupent de façon nerveuse mais banale, craignant
la monotonie comme la peste. Là où le fondateur Short
Cuts avait le mérite de tirer un certain constat sur la
société contemporaine, le film de Woschitz se contente
d'entretenir l'illusion d'un «village global» qui trouverait
toute sa cohérence dans l'uniforme gravité des bouleversements
sentimentaux qui s'y déroulent. Ici, c'est un homme tombant éperdument
amoureux d'une serveuse en visionnant son image enregistrée sur
un téléphone cellulaire. Là, c'est un acteur de
télévision comprenant la vacuïté de son existence
en recevant de sa plus grande admiratrice, rencontrée par la
plus ridicule des coïncidences, une affectueuse étreinte.
Là encore, c'est un homme sain poussé au suicide en réponse
à la mort accidentelle de sa bien-aimée. Le tout entretient
une tension sans relâchement, attribuant de l'intensité
là où il ne s'en trouverait pas d'ordinaire, au point
de former une belle ligne droite bancale plutôt que la montagne
russe dramatique désirée.
Tout ce salmigondis resterait passable s'il bénéficiait
d'un traitement esthétique favorable à son épanouissement.
Hélas, la main de Thomas Woschitz est bien lourde, et elle est
accompagnée ici d'une trame sonore d'une profonde médiocrité.
Bruyante sans être stimulante, dense au point d'être asphyxiante,
la musique de Naked Lunch enterre la voix de son chanteur sans charisme
sans non plus démontrer de talent mélodique au-delà
des canons standards de la musique folk-rock actuelle. Elle se colle
aux images tout en en restant pourtant bien distincte, à l'exception
de quelques passages où la synergie se fait de manière
acceptable. Mais si le propre du film «musical» est de penser
un minimum sa mise en scène en fonction de sa musique maîtresse
(comme nous a rappelé récemment l'admirable réalisation
d'Across the Universe), force est d'admettre que le présent
titre se met les pieds dans les plats, profitant de chaque silence et
de chaque pause entre les développements pour nous rappeler toute
la ferveur de son groupe-vedette, occupé à jouer pour
lui-même. Chez Thomas Woschitz, l'intériorité est
grossière, résumée en des regards vaguement pensifs
lors d'errances solitaires, et fait surtout beaucoup de bruit, au point
de nuire à toute forme d'intellection. Elle est aussi illustrée
par des effets de style d'une lourdeur inconcevable (voir cette horrible
scène où tout Marseille fige soudainement, laissant la
caméra hoquetter librement quelques instants). Bref, rien de
bien génial dans cette grande messe des sentiments qui s'apparente
plus à un capharnaüm.
En résumé, la feuille de route d'Universalove
s'avère d'une stupéfiante pauvreté. Pour se rapporter
à deux références anglaises faciles, la passion
romantique d'un Atonement est bien loin, tandis que le film
se révèle au final moins ludique, moins touchant, et même
moins intelligent qu'un délice populaire comme Love Actually
(et ce malgré des ambitions artistiques bien supérieures).
Il se montre également d'un opportunisme (ou d'un égarement)
particulièrement aberrant dans le contexte d'un cinéma
contemporain occupé à rassembler les gens par-delà
les frontières géographiques. Les personnages n'ont ici
aucune profondeur et aucune spécificité, qu'un quotidien
esquissé en quelques traits rapides et un grand virage existentiel
généralement condamné à se conclure en queue
de poisson. De plus, n'est-il pas un peu contradictoire de chercher
à «universaliser» l'amour... au son d'une musique
chantée en anglais? Tout cela est bien dommage, car au-delà
de son abondance de fautes majeures, Universalove n'ennuie
jamais vraiment, et réserve même quelques agréables
moments ; un récit déconstruit traitant d'homosexualité,
ponctué de magnifiques images nocturnes d'une ville européenne,
aurait sans doute eu avantage à être mieux développé
au sein d'un projet plus cohérent. Mais cette entrée des
plus louches au sein de la compétition internationale du FNC
2008 (Thomas Woschitz réalise après tout depuis 1987...)
nous laisse avec une bien mauvaise impression, agrémentée
de synthétiseurs grinçants, de cymbales étouffées,
de basses ramoneuses, de paroles prétentieuses... À fuir
(si jamais vous croisez son chemin).
Version française : -
Scénario :
Thomas Woschitz
Distribution :
Stefan Arsenijevic, Dusan Askovic, Erom Cordeiro,
Anica Dobra
Durée :
83 minutes
Origine :
Autriche, Luxembourg
Publiée le :
22 Octobre 2008