UNFORGIVEN (1992)
Clint Eastwood
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Pour Clint Eastwood, Unforgiven est l'aboutissement d'un cycle
entamé dans les années 60 sous les ordres de Sergio Leone.
Pour le cinéma américain, il s'agit d'un merveilleux moment
d'introspection. D'une occasion de revoir le passé avec les yeux
du présent et de remettre en perspective le mythe du cowboy et
les codes du western. Avec son seizième film, l'une des vedettes
les plus endurantes de l'empire hollywoodien osait présenter
un film d'auteur sous la forme d'un western. Mais Unforgiven
dépasse le film de genre et s'impose en définitive comme
une réflexion personnelle d'Eastwood sur le plus grand des mythes
américains ainsi que sur l'une des plus grandes institutions
filmiques de son pays les États-Unis.
William «Bill» Munny (Eastwood) est un vieux brigand qui
croit avoir rangé son pistolet pour de bon lorsque nous le rencontrons.
En ce sens, ce pourrait être le célèbre homme sans
nom de la trilogie des Dollars que l'on croiserait des années
plus tard où n'importe quel vaillant cowboy qu'a interprété
l'acteur. Bill est un survivant, un vétéran qui dit n'aspirer
qu'à une retraite paisible avec ses enfants, ses cochons et le
coucher de soleil en arrière-plan. Loin du bruit et de l'alcool,
il a rejeté son tumultueux passé pour devenir un homme
normal. Mais l'argent commence à se faire rare et, lorsqu'un
jeune chasseur de prime impétueux lui offre d'aller collecter
une prime sur deux brutes s'étant attaquées à une
prostituée sans défense, Bill décide de renouer
avec son vieux compagnon d'arme Ned (Morgan Freeman) ainsi qu'avec ses
frasques d'antan.
Little Bill Daggett (Gene Hackman), quant à lui, est un shérif
aux méthodes expéditives que l'on respecte dans tout l'Ouest
pour son sang-froid. C'est dans sa ville qu'a été commis
le crime. Mais justice ayant selon lui été faite, il ne
tolérera pas qu'une bande de mercenaires vienne mettre le feu
aux poudres en lui soutirant le pouvoir. En guise de point de confrontation,
Eastwood se permet encore une fois d'opposer deux compréhensions
de la justice comme il le fera à bon escient dans son remarquable
Mystic River.
Cependant, son Unforgiven est surtout un film sur la mort et,
de manière détournée, sur la vision qui en est
offerte au cinéma. Ici, le personnage d'Eastwood n'est plus le
tueur au sang-froid qu'il était. C'est un homme mûr qui
a eu le temps de peser le pour et le contre de ses actes et d'apprécier
la valeur de la vie. Seulement, cette expérience qu'il a vécu,
étrange mais étrangement usuelle au cinéma, a marqué
à jamais sa compréhension de la vie et de la mort. Il
est incroyable qu'il ait survécu jusque là. Il est encore
plus incroyable qu'il puisse vivre avec sa conscience. En ce sens, ce
western d'auteur rejoint au niveau purement thématique une autre
oeuvre hautement personnelle qui lui doit une fière chandelle,
le contemplatif Dead Man de Jim Jarmusch qui se penchait lui
aussi sur l'acceptation de la mort.
Mais au contraire de l'oeuvre onirique que signait Jarmusch, le film
que propose Eastwood est beaucoup plus dur et réaliste. Alors
que William Blake acceptait d'abord et avant tout sa propre mortalité,
les personnages d'Unforgiven apprennent à vivre avec
celle des autres. Deux processus qui, d'une certaine façon, se
rejoignent. Il est intéressant de voir à quel point un
genre généralement respecté surtout pour ses vertus
esthétiques et stylistiques incroyables, comme le sont les classiques
de Leone, s'adapte bien à un propos d'une telle gravité.
D'une certaine façon, il est louable qu'un genre ayant offert
aux spectateurs une formidable galerie de morts gratuites se permette
une telle période de réflexion à l'automne de sa
vie.
Car le western est bel et bien un genre d'une autre époque, une
mythologie dont les jours de gloire sont comptés. À son
image, ses héros ont vieilli. Comme dans bon nombre de ses films
subséquents tel que Blood Work, Eastwood se penche avec
un certain humour sur cette inévitabilité de la vie. Subtilement,
il aborde aussi par l'entremise du charlatan English Bob (Richard Harris)
et de son biographe non seulement l'idée de la subjectivité
et de la déformation en histoire mais aussi, plus globalement,
celle de l'effet corrupteur du temps. Aux côtés de ce vieillard
grandiloquent, les deux Bill de cette histoire sont des symboles d'intégrité.
Ainsi, Unforgiven dépasse la simple anecdote nostalgique
pour s'affirmer en compagnie de Dead Man comme l'aboutissement
et la concrétisation finale du western américain. Que
ce soit Eastwood qui en soit l'architecte n'a rien de surprenant. Mais
avec ce film prenant, intelligent, sensible et cru, l'acteur légendaire
s'affirmait enfin comme le grand réalisateur qu'il avait toujours
menacé de devenir. Récipiendaire d'une poignée
d'Oscars bien mérités, dont ceux du meilleur film, du
meilleur montage et de la meilleure réalisation, Unforgiven
est un véritable classique à la fois personnel et universel.
À ce jour, Eastwood ne l'a pas encore égalé.
Version française :
Impardonnable
Scénario :
David Webb Peoples
Distribution :
Clint Eastwood, Gene Hackman, Morgan Freeman, Richard
Harris
Durée :
131 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
29 Novembre 2005