TWILIGHT (2008)
Catherine Hardwicke
Par Mathieu Li-Goyette
Bien qu'il en soit déplorablement une chose commune, je me permets
avec la sortie d’un film comme Twilight de surligner
la jauge d'excès dépassée du romantique pré-pubère
américain. Tentation pour le cinéphile lambda en ce divertissement
anesthésiant, le fait est que Twilight occupe dans nos
salles l'exacte et même date de sortie qu'un autre film à
la thématique foncièrement identique, mais au fond et
à la forme tout aussi détonante. Que l'on m'épargne
la première pierre du snobisme: le premier des films est adapté
d'un roman populaire américain, le deuxième, est d’un
créateur indépendant, obscur cinéaste de Suède.
Développé tout deux dans la fascination et l’exercice
des relations inter-personnelles qu’exercent quasi universellement
les créatures fantastiques, le prétexte gothique de Twilight
se fait rose bonbon à l'intention d'un public cible bien désigné
et par le fait même, peu exigeant du moment que le «cinéma
substitut à notre regard un monde qui s'accorde à nos
désirs». Sans vouloir en venir à un excès
de comparatisme face au film de Thomas Alfredson (auquel je renverrai
le lecteur à un texte paru précédemment à
l'occasion du festival de Fantasia 2008), l'histoire portée par
les deux cinéastes se font échos à travers un champs
de cultures révélateur : la cour d'école suédoise
écrasée par le bal de finissants étasunien.
Il va s'en dire, la comparaison frôle la mauvaise foi, et pourtant,
c'est précisément de cet algorithme de l'uniformisation
dont souffre le plus le cinéma de genre hollywoodien. Bella (Kristen
Stewart) a quitté le climat chaud de Phœnix pour aller vivre
avec son père dans l’état de Washington où
les nuages et la froide humidité semble cloîtrer leur petite
municipalité l’année durant. Nouvelle de classe,
la rencontre de nouvelles amies et cibles amoureuses potentielles en
cette année de graduation viennent vite occuper les pensées
d’une jeune fille studieuse, gentille et nette de tout vice. Son
père chef de police, figure paternelle absente et distante ne
« comprenant plus sa jeune fille » fait mince figure aux
côtés de son ex-femme demeurée au sud, compréhensive
et grande confidente de cette dernière. Portrait « idéal
» d’une famille décomposée, le monde sans
flammèche de Bella bascule le jour de sa rencontre avec Edward
(Robert Pattinson), seul représentant célibataire de la
famille Cullen, bande de mannequins au teint blanchâtre, aux yeux
luisants et à la chevelure enflammée qui marchent sans
bruit en évitant tout contact direct avec les autres étudiants.
Du côté d'Edward, Bella présente quelques qualités
singulières que le spectateur critique se fera un plaisir d'apprécier
à leur juste superficie dramatique.
Près du Harlequin pour adolescents, ce dit culte de feuilletons
fait fureur à l’échelle du globe depuis 2002. Suivant
l’influence d’un autre monde fantastique éducatif
et divertissant en Harry Potter, Twilight, le roman,
puise ses sources dans un monde parallèle déjà
codé et réglé selon l’œuvre de Bram
Stocker en relation avec celle des soap américains de l’heure.
Bien qu’il présente une suite logique à la carrière
de la réalisatrice anciennement directrice artistique - un fait
notable donnant au film un cachet d’arrière-scène
tout particulier - Twilight suit le cheminement d'adolescents
vers l’âge adulte tout en semblant transporter la plus précieuse
préoccupation d'Hardwicke (Thirteen, Lords of Dogtown,
The Nativity Story) vers une toute nouvelle opportunité
commerciale. Passé le cap de l’adaptation de best-sellers,
celle qui défrichait à son propre rythme les sentiers
sinueux du cinéma indépendant américain s’est
vu projeté sur la grande scène avec en mains un roman
d’un maniérisme outrancier (sans en juger l’écriture,
le fond du récit, lui, peut passer sous crible) et un public
fanatique disséminé aux quatre coins du globe pour finalement
s’en tirer avec une réalisation neutre, trop peu inventive
pour le sujet traité et bizarrement aseptisée.
Si la direction de son ensemble de comédiens s’avère
réussie dans la mesure de l’écriture de leur personnages,
certains sortent du lot (les deux comédiens principaux) à
l’inverse d’autres figures peu connus de la télévision
(on pense au vampire rocker antagoniste) qui sombrent dans un jeu pathétique
rappelant le ton sarcastique de Buffy the Vampire Slayer. Parfois
mystérieux, souvent empêtré dans un dialogue trop
littéraire pour se déclarer pleinement du cinéma,
les qualités du films apparaissent dans une exécution
moyenne d’éléments clichés, mais encore une
fois séduisant. Il est facile d’être porté
à croire que le jeune public sera sous le charme d’un vampire
végétarien ne représentant aucun danger à
proprement parler pour l’homme; qu’un amant soit à
la fois capable de briller de milles feux sous le soleil et d’avoir
la force d’un surhomme. Pour faire court, on y décrypte
rapidement un homme préfabriqué avec tout juste assez
de mystère et de mal en lui pour s’imposer comme le fantasme
lubrique de toute une génération. Pas qu’il en est
un fait à décrier en soit, le concept même de Twilight
sent le réchauffé. Ainsi soit-il, l’apothéose
du cliché survient lors d’une partie de balle molle entre
la famille Cullen et la jeune Bella faisant maintenant partie des buveurs
de sang à titre de belle-soeur.
Probablement plus digne d’une série-télé
que d’un film, la moindre aspiration du film de Hardwicke n'est
autre que d’établir ce qu’une gentille petite demoiselle
doit accomplir pour obtenir son homme idéal et de poursuivre
la quête de ses rêves. Les thèmes fastidieux de Twilight
trempés à la sauce « aimer l’impossible amour
» nous lèguent un héritage forcé de la tragédie
shakespearienne sans quoi l’intérêt se serait manifesté
à travers quelques rares moments de sourire candide et de trouvailles
comiques. Filmé maladroitement en étant orienté
vers une symbolique de tout premier niveau, la caméra se prête
au jeu des fantômes par des séries de déplacements
fluides et obliques ponctuant des cadrages manquant cruellement d’expressions.
Le produit proposé par Hardwicke en est un mauvais, destiné
à miner le talent d’une jeune espoir américaine
(la cinéaste dis-je bien) aux griffes des conglomérats
qui se sont enorgueillis d'une mise en marché verticale digne
de mention du film s’alliant au roman, à la bande-sonore
et d'une campagne publicitaire intempestive soutenue par plus de 300
quelques sites de fans. C’est une naissance prématurée
qu’est celle de la nouvelle franchise de l’heure alliant
Dawson's Creek au Bal des Vampires; l’aristocratie
d’un monde en déroute, « vampirisé »
aux élucubrations d’une jeune adolescente confuse à
la finalité obscure. À la différence qu’étant
dans un conte de fées, l’interdit et l’impossible
se concrétise en toute fin au plus grand pâmoison du public
déjà gracié par une dernière confrontation
d'une violence fausse et trop peu participante à l'expérience
du film. Voilà un échantillon fort gâté à
se mettre sous la dent pointu en attendant la production déjà
confirmée des trois prochains volets.
Version française :
Twilight : La Fascination
Scénario :
Melissa Rosenberg, Stephenie Meyer (roman)
Distribution :
Kristen Stewart, Robert Pattinson, Billy Burke,
Ashley Greene
Durée :
122 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
3 Décembre 2008