TRUFFE (2008)
Kim Nguyen
Par Mathieu Li-Goyette
Il y a les truffes, petits champignons rarissimes poussant sous la terre
et trouvables uniquement par le biais de cochons et de sangliers bien
entraînés. Petite boule noire dont on a tous entendu parler
à un moment ou à un autre, son goût nous reste étranger
compte tenu de son prix avoisinant les ratios de celui de l’or
brut. Et il y a Truffe, même genre de petit champignon
: difficile de mettre la main dessus, mais ô combien redevable
lorsqu’on saisit la bonne technique, la bonne écoute face
au film qui faisait défaut à la déjà riche
filmographie québécoise de 2008. Présenté
en première mondiale à l’occasion de l’ouverture
du Festival Fantasia, le dernier met finement préparé
par Kim Nguyen n’a aucune raison de rougir face à la compétition
internationale qui l’attend et dont il sera assurément
plus qu’un amer avant-goût. Création de l’imaginaire
débridé et maniaque de son réalisateur fort aimable,
Truffe ne pourra déplaire qu’aux gens à
l’imaginaire conservateur et sans saveur.
Suite aux conséquences des changements climatiques, l’Est
de Montréal voit l’apparition soudaine d’une quantité
industrielle de truffes sous son sol insulaire. Mine d’or lorsque
découverte, le commerce des truffes s’accaparera du quartier
Hochelaga où les travailleurs ex-chômeurs deviendront de
véritables mineurs de champignons à 100$ la livre. Parmi
eux, Charles Tremblay (Roy Dupuis), grand homme, fort, musclé,
en plus d’être galant et attentionné, est doté
d’une capacité toute singulière à dénicher
à l’odorat ces petites perles de moisissure. Héros
du quartier, Charles est un homme honnête pour qui la récolte
de truffes n’est qu’un moyen de faire rouler le fast-food
de truffes de sa femme Alice (Céline Bonnier), unique propriétaire
du commerce. Évidemment, qui dit exploitation dit industrie,
puis monopole et inflation. Au moment où Kim Nguyen nous emporte
dans son Montréal parallèle, le commerce des truffes a
chuté et les ouvriers sont sans le sou. Ne valant plus la peine
d’être récoltées, l’Est de la ville
tombe en pleine crise économique dont seule la Compagnie des
Cols semblera apte à sauver les pauvres âmes. Oligopole
dirigé par la frigide Mme Kinsdale (Michèle Richard) et
son agent tout aussi terrifiant (Jean-Nicolas Verrault), les pauvres
gens du quartier auront tôt fait de tomber sous l’emprise
de cette mise à jour du monopole le plus près de chez
vous.
Conte moderne remanié avant tout pour les besoins de la dénonciation
des monopoles d’industries, Truffe recèle un charme
mystérieux et pervers qui se voit une belle addition au plaidoyer
contre le capitalisme sauvage à l'unisson. Si bien qu’il
ne sombre jamais dans la vulgarité et encore moins dans la facilité
de la critique d’un champ aussi vaste que populaire dans l’incrimination.
Desservi par une distribution de première classe, le petit bijou
de 75 minutes fracasse les stéréotypes de la fantaisie
québécoise. Étonnant conteur de la trempe d’André
Forcier, Kim Nguyen entremêle les genres, les styles et les émotions
dans un ensemble dont la fluidité fait passer aisément
son film entre songe et réalité, divertissement et implication
sociale. La fraicheur des idées proposées nous est amenée
par des chemins détournés plutôt qu’à
travers des codes préconçus, des lois connues, à
travers une mise en scène inventive qui reste économe
et efficace en se faisant caméléon à tour de genre.
De l’horreur à la science-fiction en passant par l’humour
noir et la poésie d’une nuit de romance, l’esprit
du film revêt l’aspect qui lui convient le mieux sous l’aile
avouée d’un esthétisme volontairement maniériste.
Esthétisme d’ailleurs bien loin de ses cousins éloignés
qu’on retrouvait dans L’Âge des Ténèbres
et Continental, Truffe s'en démarque par une
naïveté bénigne, un plaisir de raconter qui n’est
peut-être pas aussi marquant de la part de ses contemporains.
Direction photo en noir et blanc tout d’abord, courage d’aborder
le gag d’une façon pince-sans-rire dans un univers où
la crédibilité se voit proportionnelle à l’intelligence
(lire imagination) du spectateur, conception artistique étiquetée
série-B, la chimie de l’ensemble nous fournit un incroyable
exemple de politique-fiction qui assume ses inspirations, mais aussi
ses défauts, car il ne faut pas se leurrer indéfiniment,
la surprise de Kim Nguyen n’est cependant pas parfaite. Lorsque
certains passages gagneraient à être plus développés,
c’est surtout la fonction de certains personnages-clés
tels les riches parents de Charles qui ralentissent parfois le récit.
L’origine nébuleuse du complot est, elle aussi, reléguée
aux oubliettes au profit d’un happy-ending précipité
qui aurait certes mérité d’articuler cette matière
brute servie sous forme d’archétypes d'antagonistes parfois
bizarrement utilisés. Si l’on peut aisément se voir
emporté et émerveillé par ce genre d’univers,
force d’admettre qu’il ne parviendra malheureusement jamais
à nous faire lever de notre siège, à nous ébranler,
voire nous choquer; mais là était-il son intention?
Foncièrement différent de nos goûts habituels, Truffe
marquera néanmoins l’année à titre d’agréable
surprise. De par cette réussite, Kim Nguyen parvient à
un équilibre durement acquis sans aucun compromis dans cette
« comédie psychotronique et hommage à la série-B
», pour reprendre les dires de ce dernier. Performances justes
des acteurs principaux, performance grinçante de Michèle
Richard, la cohésion y est sans pour autant être mémorable.
Autre faille regrettable qui mène en bout de ligne le film à
s’attirer la foudre de moments lourds, voir fades, c’est
l’absence de conviction chez nos héros. Apparemment beaucoup
plus des proies chanceuses que des vainqueurs-nés, Charles et
Alice ne semblent se battre qu’au nom de l’amour et du fast-food
; triste connotation lorsqu’on connaît pourtant l’urgence
de traiter d’un tel sujet. Lorsque dans certaines œuvres
un tel choix définit l'antihéros par excellence, la décision
se voit ici plus ou moins justifiable compte tenu de l'élan général
proposé par le film. Critique donc du monopole, mais aussi de
la surconsommation, de l'avidité, de la taylorisation du travail
de bureau et des relations d’un froid clinique entre entrepeneurship
et personnalité humaine, Truffe manque tout juste de
cette surenchère qu’il dénonce pour se déclarer
officiellement efficace et provocateur et c'est finalement bien les
ingrédients de ses seules lacunes.
À travers des séquences rarement vues jusqu’à
présent sur nos écrans nationaux, la pensée critique
de Nguyen côtoie brillamment ses propres phantasmes de submersion
dans un dédale de dérangés où tout le crédit
doit revenir en bonne et due forme à son créateur. Qualifiable
à première vue de «courageux», Truffe
est pourtant bien plus qu’un affront au conformisme facile du
cinéma québécois contaminé par ses antécédents
télévisuels, campagnards et religieux. Il est aussi la
preuve d’existence d’un cinéma irrationnel, désaxé,
mais pertinent au sein de l’aliénation d’une culture
de bourgeois et de voyous, mais jamais de rêveurs. Cols de furets
voraces animés à la manière d’un alien au
stade vermisseau, humains dévidés transportant sur leur
dos de trop gros frigos remplis de champignons, Céline Bonnier
massacrant son agresseur mécanique à coup de 2x4 clouté
et poutine aux champignons d'or, Truffe est de la trempe de
ces puissants alliages de folie et de passion.
Version française : -
Scénario :
Kim Nguyen
Distribution :
Céline Bonnier, Roy Dupuis, Pierre Lebeau,
Danielle Proulx
Durée :
75 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
22 Août 2008