TROY (2004)
Wolfgang Petersen
Par Frédéric Rochefort-Allie
Des statues qui tombent, des innocents qui meurent et un fleuve de sang.
Nous ne sommes pas en Irak, mais un peu plus au nord... à Troie.
Qu'on croit à la guerre de Troie ou non, ces événements
furent l'objet de nombreuses légendes. L'Iliade est
l'un des romans les plus intouchables de l'histoire de la littérature.
Acclamé pour son histoire et ses personnages touchants, le récit
d'Homère est partie intégrante de la culture occidentale.
Il faut sérieusement avoir du cran pour oser adapter un chef-d'oeuvre
de la sorte. Mais comme rien n'est à l'épreuve de l'empire
hollywoodien, Troie tombe sous son emprise.
Hélène (Diane Kruger) est une femme d'une beauté
légendaire. Un jour, elle se fait «capturer» par
Pâris (Orlando Bloom), un des princes de Troie. Toutefois, même
si l'amour est dans l'air, Menelaus (Brendan Gleeson), son mari, n'est
pas tout à fait joyeux d'apprendre que son épouse est
disparue. C'est ainsi qu'Agamemnon (Brian Cox), frère de ce dernier
et roi des rois, déclarera la guerre contre la puissante cité
du roi Priam (Peter O'Toole). Une guerre qui opposera Achille (Brad
Pitt), le guerrier intouchable, à Hector (Eric Bana).
Le film Troy est à l'image même du roman sur lequel
il se base : long, classique et pompeux. Sont-ce des qualités
ou des défauts dans le scénario de David Benioff? Un peu
des deux. On pourrait qualifier cette adaptation comme étant
fidèle à l'état d'esprit du livre, cependant, quelques-unes
de ses distanciations par rapport à l'oeuvre ne sont pas bénéfiques.
Troie ne répond plus précisément à la règle
de base de la tragédie et se termine peut-être sur une
note qui laissera les amateurs du texte intégral sur leur faim.
Ici, exit les dieux. Malgré que quelques scènes très
importantes soient effacées sur pellicule, l'absence de dieux
nous évite énormément de clichés. On mentionne
Apollon et Arès, mais on peut oublier l’image classique
de Zeus à la barbe blanche qui observe la guerre comme une partie
de football. Achille est ici une rock star se nourrissant de
gloire et de groupies. Il est intéressant de remarquer que dans
cette version, Achille n'est pas invincible. Sa dimension divine se
définit par rapport à la bonté de son coeur et
son talent en tant que guerrier. Les dialogues sont aussi simplifiés,
heureusement! Nul ne prend la peine de réciter un poème
en combattant à l'épée. Ce qui est surtout intéressant,
c'est que bien que certains événements arrivent plus tôt
que prévus, ou diffèrent littéralement de l'oeuvre,
l'essence même des personnages demeure intacte. Ainsi, Agamemnon
est détestable, Achille est arrogant et Pâris, efféminé.
De tous les réalisateurs au monde, pourquoi Wolfgang Petersen?
L'homme derrière Air Force One, The Perfect Storm
et le célèbre Das Boot n'a peut-être pas
Zeus de son côté après tout. Pour être épique,
Troy l'est. De nombreuses scènes d'action mémorables
font leur apparition. La violence est crue, mais jamais gratuite. Puis
l'adrénaline y trouve son compte. Une grande réussite
de ce point de vue. Mais quand le sang ne gicle pas et que les dialogues
se font nécessaires, le film souffre de pénibles longueurs.
Bien sûr, bon nombre des scènes lentes et inutiles sont
intéressantes, mais Petersen et son monteur ne semblent pas faire
le bon partage entre drame et action. Résultat : on soupire.
Les décors et les costumes sont fabuleux, mais ils laissent malheureusement
place à des anachronismes. La splendide, quoique sobre, musique
de James Horner aide toutefois à faire digérer le tout,
bien qu'inspirée de celle d'Howard Shore de la trilogie The
Lord of the Rings. Elle manque de puissance par moments. Violons
et trompettes ne suffisent pas.
On pardonne beaucoup au jeu exagéré des acteurs. Comme
le livre lui même est pompeux, que le jeu des acteurs le soit
conserve le ton original. Brad Pitt en Achille nous incarne un Tyler
Durden (Fight Club) de l'antiquité. Bien sûr,
il possède le charisme parfait pour le personnage, mais sa performance
demeure décevante par rapport à l'ensemble de sa carrière.
Ce rôle-ci serait un peu à l'image de Jack Sparrow (Pirates
of the Carribean) pour Johnny Depp, un recyclage qui ne mise que
sur la présence d'acteur. Peter O'Toole est touchant en Priam,
quoiqu'influencé par l'ambiance du récit. Orlando Bloom
en Pâris joue extrêmement mal, mais son interprétation
colle parfaitement au personnage, pour une fois. La splendide Diane
Kruger est peut-être très belle, mais on constate vite
qu'elle ne fut pas choisie pour son talent d'actrice. Sans être
du niveau d'Orlando Bloom, elle nous offre une performance acceptable
pour un rôle qui en exige un tantinet plus. Mais les stars du
film pour le jeu sont Eric Bana et Sean Bean. Les deux acteurs, bien
discrets dans le monde du cinéma hollywoodien, rayonnent ici
parmi un casting assez imposant. Signe comme quoi ce n'est pas parce
qu'on porte un nom qu'on porte avec nous nécessairement du talent.
Avec des films comme Gladiator et The Lord of the Rings,
nous pouvons nous attendre à ce que le ciel nous tombe sur la
tête de récits épiques. Déjà, deux
versions différentes d'Alexander sont en route et on
prévoit faire un film sur Hannibal avec Vin Diesel. Un retour
aux années 50? Peut-être. Le film ammorce tout de même
des discutions intellectuelles sur la littérature, ce que Ben-Hur
ne provoquait pas. Troy reste un film très intéressant,
rempli de belles scènes touchantes, mais prisonnier de ses défauts.
Un léger remontage aurait été bénéfique
à la qualité de l'oeuvre. Car pour ma part, je n'oublierai
pas les combats flamboyants devant les portes de Troie, mais je ne pourrai
m'empêcher de bailler ici et là. Si vous recherchez du
cinéma épique, Monsieur Petersen livre malgré tout
la marchandise. Combien de peplum l'empire hollywoodien va-t-il
nous pondre? Zeus seul le sait.
Version française :
Troie
Scénario :
David Benioff, Homère (L'Illiade)
Distribution :
Brad Pitt, Eric Bana, Orlando Bloom, Brian Cox
Durée :
163 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Mai 2004