TRIUMPH OF THE WILL (1935)
Leni Riefenstahl
Par Jean-François Vandeuren
Ignorons un instant les atrocités de la Seconde Guerre mondiale
et revenons quelques années en arrière, à l’époque
d’une Allemagne nazie qui n’était pas encore synonyme
d’holocauste et de plans insensés de domination mondiale,
même si Mein Kampf en avait déjà suggéré
les grandes lignes sans trop de subtilité. Dans un sens, Hitler
fut le monstre inévitable que l’Europe créa par
le Traité de Versailles en plongeant un pays entier dans une
colère collective en leur faisant assumer la responsabilité
de la Première Guerre mondiale, ce qui amena du même coup
un affaiblissement fulgurant de l’économie nationale. Ce
n’était finalement qu’une simple question de temps.
Mais il faut tout de même reconnaitre que d’une certaine
façon, Hitler et le parti national-socialiste à cette
époque furent plutôt bénéfiques pour l’Allemagne,
sortant le pays d’un gouffre économique qui semblait alors
insurmontable tout en le lançant vers la modernité, ce
qui aura beau fait de redonner espoir et fierté à une
population qui, depuis un bon moment déjà, n’avait
pas grand chose à contempler devant elle.
Il n’est pas étonnant de ce fait que l’image que
présente Triumph of the Will soit celle d’un peuple
en adoration devant son chef. Relatant le sixième congrès
annuel du parti nazi qui eut lieu à Nuremberg en 1934, ce film
de propagande figurant parmi les plus célèbres de l’histoire
tente d’exposer la droiture du système social sous la gouvernance
d’Hitler et ainsi alimenter les passions tout en voilant au passage
les pratiques politiques un peu plus axées sur la terreur de
ce dernier. Hitler était évidemment comblé suite
à la présentation de ce film qu’il qualifia de «glorification
incomparable du pouvoir et de la beauté du mouvement nazi.»
Mais il faut garder en tête qu’il s’agit bel et bien
ici d’un film de propagande beaucoup plus qu’un documentaire,
le but étant de faire état d’une Allemagne incontestablement
forte, disciplinée et unie en célébrant la grandeur
des édifices étatiques et sociaux. La cinéaste
Leni Riefenstahl nous fait dès lors visiter les camps des jeunesses
hitlériennes, mais étonnamment, son entreprise ne célèbre
pas à ce point les institutions militaires du régime et
glorifie plutôt les accomplissements civils.
Triumph of the Will se compose principalement de différentes
parades et rassemblements de foule gigantesques lors de l'inspection
des troupes SA et des discours politiques des hauts dirigeants de l’état
et, évidemment, d’Adolf Hitler, qui, sans tout révéler,
exposent leurs idéologies d’une manière assez directe,
ne cachant jamais l’édification d’un système
totalitaire. L’enthousiasme suscité par ces annonces donne
d’ailleurs froid dans le dos. Et à défaut d’être
un exemple moral irréprochable, l’effort de Leni Riefenstahl
propose une facture visuelle qui est en soi une réussite magistrale.
Celle-ci fait part d’un flair visuel tout à fait hallucinant
qui, grâce à un nombre gargantuesque de caméras,
parvient à capturer la force et la présence des influences
empiriques à travers les symboles de l’art nazi et une
organisation civile minutieusement contrôlée. Sa mise en
scène expose une finesse qui semble peindre une série
de toiles dont la puissance des plans sert parfaitement les objectifs
du film. Mais après un certain temps, cette glorification aussi
insensée que passionnante a sévèrement tendance
à tourner en rond. La seconde moitié de l’effort
se concentre de cette façon presque uniquement sur la présentation
d’une énorme parade qui, aussi superbement filmée
puisse-t-elle être, parait franchement interminable.
Il est inévitable que certains s’empresseront de condamner
à nouveau le film de Leni Riefenstahl sans nécessairement
l’avoir vu, croyant n’y trouver qu’une œuvre
incitant à la haine qui n’a tout simplement aucune raison
d’être aujourd’hui. Dans les deux cas, c’est
tout le contraire. Car quoi qu’on en pense, Triumph of the
Will constitue maintenant une démonstration intimidante
du système de propagande du régime national-socialiste
qui, sans offrir le testament le plus franc et approfondi des politiques
d’Adolf Hitler, permet de comprendre un peu mieux comment un peuple
aura pu se laisser emporter dans des rouages politiques aussi égocentriques
et haineux. L’importance d’une telle œuvre de nos jours
se manifeste dans la façon dont nous pouvons désormais
l’approcher, le pamphlet de Rienfenstahl ne pouvant plus vraiment
nous vendre ses idéaux douteux puisque nous avons l’avantage,
contrairement au peuple allemand de l’époque, de connaitre
les objectifs réels du nazisme. Triumph of the Will
nous offre en ce sens à nous, gens du XXIe siècle, un
regard d’une importance historique indéniable sur l’Allemagne
des années 30 par le biais d’une entreprise esthétique
exceptionnellement démesurée dont la force d’impact
évidente à l’époque incite à un questionnement
pour le moins fascinant sur ce qui fut pourtant un régime politique
inexcusable.
Version française :
Le Triomphe de la Volonté
Version originale :
Triumph des Willens
Scénario :
Leni Riefenstahl
Distribution :
Adolf Hitler, Max Amann, Martin Bormann, Walter
Buch, Otto Dietrich
Durée :
114 minutes
Origine :
Allemagne
Publiée le :
23 Août 2005