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TRAINSPOTTING (1996)
Danny Boyle

Par Jean-François Vandeuren

C’est tout de même un impressionnant tandem qui s’est formé entre le septième art et le monde de la toxicomanie depuis les années 90. Un peu comme ce fut le cas lors de l’engouement massif pour la Guerre du Viêt-Nam une décennie auparavant, l’univers de la drogue fut traité sous pratiquement tous les angles possibles depuis le temps. Portrait qui fut réalisé entre autre grâce à un docufiction couvrant le sujet sur tous les fronts, une majestueuse descente aux enfers, un voyage en plein coeur du psychédélisme ; bref, ce ne sont pas les œuvres de marque qui manquent sur le sujet. Bien évidemment on a aussi eu droit à plusieurs essais dépourvus de toute substance et inutilement prétentieux, voire l’exception qui confirme toujours la règle. L’adaptation du roman culte d’Irvin Welsh ne fait fort heureusement pas parti de cette catégorie. Attention : film d’un dynamisme contagieux!

Marc Renton (Ewan McGregor), un toxicomane d’Edinburgh, nous présente son univers et sa clique de comparses pour qui la vie ne se produit dans ses hauts comme dans ses périodes les plus creuses qu’en fonction d’une seule chose : la drogue. Plus particulièrement l’héroïne. Entrez donc chers gens tout ce qu’il y a de plus normaux dans ce monde déréglé qui vous fera pourtant redouter votre propre bon sens.

Pour son deuxième long métrage, le réalisateur anglais Danny Boyle nous propose dans un premier temps, sous une allure extrêmement accrocheuse et colorée, une étude de cas fort bien menée sur le monde de la toxicomanie et les différents acteurs et enjeux formant cette communauté. Le cinéaste nous fait donc explorer ce parallèle par le biais d’un récit découpé minutieusement au scalpel appuyé de la géniale narration de la part de son principal protagoniste, nous introduisant efficacement au mode de penser et à la volonté de ce groupe de refuser de se conformer à la réalité en choisissant plutôt de se réfugier derrière cette pratique fabricante d’illusions et d’un confort provisoires.

Boyle pousse d’autant plus efficacement son effort en l’amenant vers des avenues traitant par la suite du quotidien derrière ces divagations où ces junkies doivent faire face à l’inévitable crise de manque qui se manifestera s’ils ne vont pas faire leur besogne quotidienne se traduisant plus souvent qu’autrement par une réplique marginalisée du quotidien d’un être humain normalement intégré au cœur du système, où le traditionnel métro–boulot–dodo se transforme en une quête continue vers l’argent volé qui mènera au bonheur. La même petite routine se poursuivra de plus belle au fil des jours alors que sur une mince ligne séparant la vie de la mort ces personnes en quête du trip définitif jouent sans cesse les acrobates. Et même si leur tour n’est pas encore arrivé, ils seront néanmoins confrontés à voir leur entourage devenir sujet à se confondre aux statistiques de prévalence en ce qui a trait à la criminalité forcée et aux infections virales pouvant mener à la mort.

On reconnaît évidemment ici un discours assez commun à l’œuvre de Danny Boyle dans ses thématiques sociales et sa réflexion sur l’héritage et le passage du temps. En ce sens, Trainspotting constitue son film dans lequel elles sont le mieux exploitées et les plus accomplies. D’autre part, contrairement à la plupart des films traitant de ce sujet, Boyle ne fait pas la morale à son auditoire. Il nous suggère même de remettre sérieusement en question la validité de ce qui est désigné comme étant normal et ce qui ne l’est pas. Il faut dire qu’il nous présente cette héroïne comme étant une solution plus marginale contre le mal de vivre et une échappatoire à ce qui est futile, mais qui pourtant est présente chez tous et chacun. L’injection et la substance changent de forme, mais le résultat demeure concrètement le même. Certains se shootent à l’héroïne, d’autres sont accros à la télévision, aux bagarres, au football, au fast-food, au clubs de nuit, etc. La seule différence étant qu’un fix ne figure pas encore dans la liste faramineuse de stratagèmes utilisés par le système pour engourdir une population déjà somnolente, ceci étant dû à l’absence d’une caractéristique fondamentale : une idée de contrôle face à la réaction du sujet.

Les qualités de metteur en scène de Boyle se manifestent par la suite dans tout le traitement artistique et narratif de son essai. Plutôt que de faire un film qui aurait pu facilement être caractérisé d’une approche sombre mêlée à un style plus documentaire, le cinéaste y est allé à l’opposée d’une composition visuelle extrêmement inventive au niveau de la réalisation, de la photographie et du montage, créant une dynamique survoltée sans pareil rappelant à quelque part la forme d’un vidéo clip, mais fait avec beaucoup plus de minutie et de vigueur. Le tout est d’autant plus appuyé par un récit extraordinairement développé autant dans ses situations, confondant parfaitement dynamisme, humour, et éléments dramatiques à un discours décapant, que dans ses personnages cultes campés par une distribution impeccable et ses dialogues d’une intelligence et d’un naturel digne de louanges. De sorte qu’il a pu aisément mélanger le tout à sa guise à un autre élément significatif du film qui est l’omniprésence des références à la culture pop et underground du Royaume-Uni, surtout d’un point de vue musical comme en témoigne l’exquise bande sonore servant d’hommage aux figures importantes de ces deux scènes, allant même jusqu’à se permettre un certain hommage à Abbey Road.

La brillante équipe qui nous avait offert l’excellent Shallow Grave en 1994 a donc su revenir en excellente forme en poussant encore plus loin certains détails narratifs qui avait déjà fonctionné à merveille deux ans auparavant, faisant en définitive de Trainspotting un des opus les plus importants traitant de la toxicomanie. Un film devenant inévitablement culte au fil du temps puisqu'il est évident qu’une écoute ne sera jamais vraiment la dernière et ce même dans un lapse de temps plutôt serré.




Version française : Ferrovipathes
Scénario : John Hodge, Irvine Welsh (roman)
Distribution : Ewan McGregor, Ewen Bremner, Jonny Lee Miller, Robert Carlyle
Durée : 94 minutes
Origine : Angleterre

Publiée le : 14 Juillet 2004