TIRESIA (2003)
Bertrand Bonello
Par Chamsi Dib
C’est un troisième long métrage, après Quelque
chose d’organique et Le Pornographe, pour le réalisateur
français installé à Montréal depuis peu.
Tiresia transpose le mythe grec de Tirésias de manière
contemporaine et cela à travers le christianisme. Selon une des
légendes, Tirésias, fils d’Evérès
et de la nymphe Chariclo, devient femme après avoir tué
la femelle d’un couple de serpent qui s’accouplait. Sept
ans plus tard, il revit un couple et en tua le mâle et Tirésias
redevint un homme. Un jour, Zeus et sa femme Héra argumentaient
sur le fait de savoir qui, de l’homme ou de la femme, avait le
plus de plaisir lors d’ébats amoureux. Ils demandèrent
à Tirésias, étant donné qu’il avait
expérimenté les deux sexes. Tirésias répondit
que le plaisir de la femme était neuf fois plus intense que celui
de l’homme. Héra, mécontente, le punit en lui infligeant
la cécité. Zeus compensa en offrant à Tirésias
le don de clairvoyance ainsi que la compréhension du langage
des oiseaux. L’oracle pratiquera son don dans sa maison et il
sera aidé par un adolescent.
Dans le film, Tiresia est un transsexuel prostitué brésilien
qui pratique son art dans la clandestinité dans le Bois de Boulogne
de Paris. Un jour, Terranova ira chercher Tiresia pour l’emmener
chez elle où il l’enfermera dans une chambre, prétextant
que maintenant elle lui appartient. Son corps se mettra à ressembler
à celui d’un homme, car Tiresia ne prend plus d’hormones.
Terranova, incapable de l’aider, lui crèvera les yeux et
l’abandonnera à la campagne. S’amorce ici la deuxième
partie du film où Tiresia redevient un homme et où une
autre opposition prend forme (après homme/femme), celle de la
lumière/noirceur, car depuis le début du film, on est
plongé dans le noir. Recueilli par une jeune adolescente qui
le soignera, Tiresia commencera à prédire les événements
des gens et plusieurs personnes viendront de loin pour le voir. L’église
du coin commencera à s’inquiéter à propos
de la prophétie et le curé ira voir Tiresia.
Dans une poésie forcée, Bonello emporte son public dans
un certain absolu dès les premiers plans du film : des gros plans
de magma en pleine effervescence qui jaillissent dans tous les sens.
S’en suit une image de Tiresia dénudée. On est dans
la contemplation et dans la poésie qui apporte un autre sens
à l’image et non seulement pour l’ouverture, mais
ceci est valable pour le reste du film. On est plongé ensuite
dans le monde solitaire de Terranova et des transsexuels. Bonello offre
un parcours, parfois gratuit par une certaine violence psychologique,
ainsi que des motivations des personnages non présentés.
Par la transposition du mythe, on sent cette gratuité inexpliquée
et mal ficelée. Le film est aussi dans une temporalité
perdue, non pas en espace-temps, mais comme si la poésie mettait
le temps hors du film. Cependant, on sait que ce sont les années
2000 et la notion de temps est explicitée à travers les
mots des dialogues et de la transformation de Tiresia. C’est un
point fort de pouvoir situer l’espace-temps tout en le mettant
hors temps. C’est ici une autre opposition : temps et hors temps,
si on peut s’exprimer ainsi.
Le film, malgré quelques erreurs scénaristiques, tente
de faire voir l’autre côté de tous les thèmes
abordés (sexe, transsexualisme, mythe, prophétie, violence,
etc.) à travers une poésie où l’ambiance
est inquiétante et sombre. On en sort quelque peu bouleversé
par tous les questionnements qu’il suscite, surtout par une fin
étonnante. Bref, Tiresia, dans une lenteur et une froideur,
offre une esthétique dualiste qui propose une avenue différente
pour questionner la transsexualité où les paradoxes finissent
par se rencontrer.
Version française : -
Scénario :
Bertrand Bonello
Distribution :
Laurent Lucas, Clara Choveaux, Thiago Telès,
Célia Catalifo
Durée :
117 minutes
Origine :
France
Publiée le :
5 Janvier 2004