TIME (2006)
Kim Ki-duk
Par Jean-François Vandeuren
Avec The Bow, Kim Ki-duk proposait une synthèse en règle
des concepts les plus marquants du versant lent, contemplatif et légèrement
onirique de sa filmographie. Le cinéaste semblait d’ailleurs
avoir atteint un nouveau plafond avec ce douzième long-métrage
et le moment était venu pour lui de tourner le dos à une
mise en scène déjà amplement remodelée.
Quelle stratégie le cinéaste sud-coréen allait-il
bien pouvoir adopter cette fois-ci? Brancherait-il son traditionnel
duo d’outsiders sur le respirateur artificiel pour encore quelques
miles? Renouerait-il avec une forme de cinéma plus impitoyable?
Ou jouerait-il de prudence le temps d’un film afin de préparer
le terrain pour un tout nouveau manège cinématographique?
Ne voulant visiblement pas se casser le tête, Kim Ki-duk finit
par entrechoquer toutes les options qui s’offraient à lui.
Le réalisateur explore ainsi divers thèmes et idées
qu’il n’avait qu’effleurés jusque ici et signe
un effort dont l’essence s’avère beaucoup plus facile
à digérer.
Si le cinéaste sud-coréen se positionna souvent en marge
de la modernité au cours des dernières années,
ses œuvres les plus récentes témoignaient néanmoins
de la froideur, des nombreuses contradictions et des mécanismes
déficients d’un système interférant continuellement
dans la logique microcosmique défendue par ses protagonistes.
Kim Ki-duk infiltre une fois de plus ce monde désaxé,
obsédé par les apparences et dont les représentants
vivent désormais beaucoup plus en fonction de leurs impulsions
du moment que dans le but d’assurer une certaine continuité
à leurs actes. Time raconte ainsi les déboires
d’une jeune femme devenue subitement paranoïaque devant l’attention
que porte soi-disant son petit ami aux autres femmes. Convaincue qu’elle
sera remplacée d’ici peu sous prétexte que ce dernier
en aurait assez de contempler le même visage jour après
jour, la femme décidera sur un coup de tête de sortir de
la vie du jeune homme et de recourir à la chirurgie plastique
afin de modifier complètement son apparence. Désormais
sous le couvert de l’anonymat, elle pourra surveiller l’homme
à son insu et l’empêcher de trop flirter avec la
gente féminine avant de le séduire à nouveau en
se faisant passer pour une parfaite inconnue. Un plan pour le moins
tordu dont elle finira évidemment par perdre le contrôle.
En soi, Time est l'un des films les plus accessibles que Kim
Ki-duk ait réalisé à ce jour, ce qui est tout de
même étonnant vues les problèmes de distribution
avec lesquelles le cinéaste dû composer dans son pays d’origine.
Mis à part quelques intrusions dans un superbe parc de sculptures
qui se fondent immédiatement à l’étrange
griffe du réalisateur, ce treizième long-métrage
propose une mise en images plus anonyme dans laquelle les nombreuses
marques de commerce du principal intéressé ont tendance
à se faire un peu trop discrètes. Le cinéaste ne
tente d’ailleurs pas de capitaliser sur la création d’ambiances
dans le cas présent, lui qui est pourtant passé maître
dans cette discipline, et cherche plutôt à mettre l’accent
sur l’efficacité dramatique d’un récit beaucoup
plus rythmé. Ce dernier mise ainsi sur l’élaboration
d’un drame plus convenu dont les principaux actants parlent abondamment
et n’hésitent pas à laisser leurs ébats empiéter
sur l’univers d’autrui, contrairement aux élans plus
réservés et nuancés auxquels les protagonistes
des précédents opus du cinéaste sud-coréen
nous avaient habitués.
Kim Ki-duk s’amuse donc davantage aux dépens de ses écrits
que de ses images dans Time. Si, à première vue,
le cinéaste s’éloigne considérablement de
sa signature habituelle, ce dernier finit malgré tout par tirer
sur papier quelques traits fortement tributaires de l’œuvre
sur laquelle il s’acharne depuis maintenant dix ans tout en réussissant
à nous surprendre par quelques tours de passe-passe dont la valeur
nous ait révélé à mesure que progresse le
récit. Kim Ki-duk profite donc de la première moitié
du film pour édifier une intrigue qui demeure jusque-là
assez prévisible. Mais autant l’utilisation répétée
d’ironies dramatiques peut être perçues au départ
comme le résultat de maladresses scénaristiques plutôt
navrantes, celles-ci finissent heureusement par prendre tout leur sens
une fois que le film prend véritablement son envol. Les pendules
sont alors remis à l’heure autant au niveau du récit
que des rouages narratifs employés par le cinéaste sud-coréen.
Après avoir volontairement laissé le spectateur prendre
les devants, Kim Ki-duk remonte subitement la pente pour nous entraîner
dans un détour que l’on espérait plus et brouille
les cartes d’un seul coup pour donner le ton à un dernier
tiers enlevant et imprévisible carburant uniquement à
l’ironie et au cynisme.
Le tout prendra évidemment des proportions démesurées
avant de se terminer sur une note rappelant le coup d’éclat
narratif du autrement peu concluant Real Fiction. La différence
cette fois-ci est que Kim Ki-duk culmine vers cet instant décisif
non pas pour sauver la mise, mais bien pour renforcer la valeur de ses
propos et de cette histoire destinée à se répéter
de manière infinie dans une société comme la nôtre.
Il faut dire également que Kim Ki-duk a tendance à traiter
toute la problématique entourant la chirurgie plastique d'un
point de vue beaucoup plus symbolique que réaliste, permettant
au corps humain de redevenir la cible de sévisses abominables
que l’âme aura énormément de mal à
supporter, et vice versa. Le réalisateur présente toutefois
cette révolte contre mère nature en amenant plusieurs
à trahir leur propre identité comme un processus désormais
socialement acceptable. De dire que le réalisateur sud-coréen
se cherche avec Time serait un peu exagéré. D’une
certaine façon, la facture visuelle plus académique privilégiée
ici par Kim Ki-duk s’avère un choix de mise en scène
approprié après un film comme The Bow. D’un
autre côté, il est dommage de voir le réalisateur
retourner au boulot aussi rapidement et traiter avec aussi peu de vigueur
la mise en image d’une intrigue qui, autrement, s’avère
fort bien exécutée.
Version française : -
Version originale :
Shi gan
Scénario :
Kim Ki-duk
Distribution :
Seong Hyeon-a, Ha Jung-woo, Park Ji-Yeon, Kim Ji-heon
Durée :
97 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
17 Avril 2007