THE THREE BURIALS OF MELQUIADES ESTRADA (2005)
Tommy Lee Jones
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Autrefois on appelait ça l'esprit pionnier, mais depuis qu'ils
ont placé un colon à la tête de leur gouvernement
on parle désormais de la mentalité cow-boy. Le mythe du
Far West tel qu'entretenu par le cinéma western est une profonde
fondation de la culture américaine. De nos jours, il faut se
perdre à la frontière du Mexique et du Texas pour retrouver
ce mode de vie libre et fougueux. Mais l'Ouest de la légende
existe-t-il encore réellement?
Avec son tout premier film à titre de réalisateur, Tommy
Lee Jones s'affaire à démonter méthodiquement cette
illusion nostalgique d'un Texas sauvage où l'on vit en aventurier.
Il ne subsiste plus dans cette contrée désertique qu'une
cruauté mâtiné d'ennui quotidien. Les couples ne
s'y parlent plus que par l'entremise de la télévision
et les femmes s'inventent des complexes pour passer le temps. Le land
of opportunity est barré aux immigrants mexicains, qui iront
de toute façon cueillir des fraises s'ils échappent à
la Border Patrol. Mais le coeur de The Three Burials of Melquiades
Estrada bat ailleurs que dans ce portrait gris et réaliste
de l'Amérique, lui préférant une évasion
initiatique dans les vallées du mythe. Ici, l'Amérique
pourra réapprendre la vraie valeur de la vie.
Melquiades Estrada (Julio Cedillo), un immigrant illégal d'origine
mexicaine, est abattu par accident par un jeune patrouilleur zélé
(Barry Pepper). Désireuse d'étouffer le scandale, la police
locale décide de garder l'affaire sous silence. Mais un vieux
cow-boy (Jones), ancien ami d'Estrada bouleversé par les événements,
décide de lui offrir une sépulture décente et de
punir l'homme responsable de sa mort. Il kidnappe celui-ci et se lance
en sa compagnie dans un violent chemin de croix existentiel. Face au
monde moderne duquel il est viscéralement détaché,
ce vieux cow-boy anachronique n'a plus d'autre solution que d'inventer
ses propres rituels païens à mi-chemin entre le délire
consommé et l'honneur oublié.
Tommy Lee Jones est passé maître dans l'art de rendre avec
une conviction surnaturelle ce genre de personnage de vieux justicier
coriace et un peu timbré qui ne joue que par ses propres règles.
Ce genre de rôle lui avait permis de décrocher un Oscar
bien mérité en 1993 pour sa performance dans The Fugitive.
Mais jamais il n'avait atteint les sommets qu'il défriche en
ce mettant cette fois-ci lui-même en scène. L'univers qu'il
dépeint dans ce premier long-métrage, tant au niveau de
la mythologie qu'à celui des valeurs, est proche de celui du
Clint Eastwood de Mystic River et, surtout, d'Unforgiven.
The Three Burials of Melquiades Estrada partage avec ce brillant
western la gravité avec laquelle il aborde la mort. On ne tue
pas impunément. Ce que le vieux dur à cuir de Jones tente
d'inculquer au jeune pied-tendre de Barry Pepper, c'est la valeur sacrée
de la vie que la nouvelle Amérique semble bafouer. Pour ce faire,
il lui faudra fracasser sa routine de force et quitter le pays.
Chaque homme a droit à une mort digne. Le pèlerinage qu'entreprennent
ces deux hommes n'est pas sans rappeler celui que mettait en scène
Jim Jarmusch dans Dead Man. Le lien spirituel unissant ces
deux films est plus moral que stylistique. Là où Jarmusch
s'amusait à même les conventions du western, Tommy Lee
Jones propose un film appliqué empreint d'une superbe attention
aux détails. The Three Burials of Melquiades Estrada
dégage une vénérable sagesse que la réalisation
extrêmement maîtrisée de Jones appuie sans trop forcer
la dose.
Justement récompensé à Cannes, le scénario
de Guillermo Arriaga arrive tout naturellement à brouiller les
cartes dans la première moitié du film pour ensuite prendre
une direction plus méditative et classique. Son histoire est
par ailleurs traversée de liens finement tissés et de
détails qui gagnent en signification au fur et à mesure
que le voyage avance. Limpide et dense à la fois, The Three
Burials of Melchiades Estrada respecte l'intelligence du spectateur
jusqu'au point final.
D'emblée, Tommy Lee Jones prouve avec son premier essai derrière
la caméra que c'est un conteur sensible et sérieux. The
Three Burials of Melquiades Estrada s'inscrit dans cette veine
de western mystiques ayant fait son apparition au cours des dernières
décennies. Il s'agit d'une oeuvre plus mature que ne l'était
par exemple le par ailleurs excellent Blueberry de Jan Kounen,
bien que ce soit un film moins abouti que Dead Man. Pourtant,
l'acteur signe ici un film époustouflant et franchement fascinant
dont la beauté des paysages n'a d'égal que la grandeur
d'âme.
Version française : -
Scénario :
Guillermo Arriaga
Distribution :
Tommy Lee Jones, Barry Pepper, Julio Cedillo, Dwight
Yoakam
Durée :
121 minutes
Origine :
États-Unis, France
Publiée le :
14 Mars 2006