THIRST (2009)
Park Chan-wook
Par Mathieu Li-Goyette
C’est l’essence d’un personnage que d’avoir
un désir. Tantôt un désir capable de le pousser
à affronter les multiples défis que la diégèse
lui offre à combattre, tantôt lui permettant de forger
des liens avec d’autres personnages ayant eux aussi des désirs
bien à eux. Mécanique primordiale du récit classique,
l’objet et son acquéreur forment ainsi l’algorithme
nécessaire au relancement du film alors que celui-ci se voit
rapprocher du but tout en s’éloignant de sa possession.
Ce désir, cette soif de pouvoir est bien l’objet de cette
dernière oeuvre majestueuse de Park Chan-wook. Plongée
dans le coeur du théâtre classique après que le
cinéaste s’y était donné à coeur joie
dans son Oldboy oedipien et ses récits de vengeances
où l’hubris violente de ses héros était un
vent de folie esthétisé, le dernier gagnant du Prix du
jury de Cannes est des plus surprenants. Viscéral, violent, mature,
intelligent, drôle, tragique, il y a peu de chose que ce prêtre
assoiffé ne réussisse à nous faire ressentir au
bout d’un long calvaire (ceci dit bien apprécié)
de plus de deux heures. Histoire de vampire classique mêlée
à un réalisme troublant, Thirst, avec Let
the Right One In, termine la décennie du cinéma fantastique
gothique avec une touche de haut niveau capable de rivaliser avec les
plus grandes oeuvres du cinéma mondial. Une réussite,
à plusieurs égards.
Esthète aguérri, Park Chan-wook se munit ici du directeur
photo qui avait rendu possible les prouesses de Oldboy avec
Chung Chung-hoon alors qu’une équipe de comédiens
époustouflants rejoignent les rangs de cette adaptation du roman
d’Émile Zola : Thérèse Raquin. Premier roman
populaire de l’écrivain naturaliste français, la
force dramatique de Thirst emprunte à Zola le triangle
pervers de la mère paralysée prisonnière de sa
fille meurtrière de son gendre alors que les soirées de
dominos (Mahjong dans le film) en famille sépare encore les rencontres
des amants interdits (ici un pasteur vampirisé et une jeune femme
mariée). Sang-hyun, homme d’église, fervant croyant
et homme d’une bonté telle qu’il se porte volontaire
pour une expérience scientifique qui provoquera sa mort, reçoit
le sang d’un inconnu. Il entre dans l’au-delà au
dire d’une prière passionnée pour se réveiller
plus tard et se découvrir une force surhumaine, un épiderme
evanescent et une soif insatiable pour le sang humain. Puisqu’il
n’a pas décidé de devenir un buveur de sang, Sang
(quand même un sympathique calembour interlinguistique) reste
un vampire bienveillant qui se voit maudit plutôt que choyé.
Il demeure pasteur à l’hôpital où il octroie
les derniers sacrements, boit le sang des comateux et fait du reste
de son quotidien une démonstration burlesque keatonienne
de son corps toujours regénéré.
Ce qui manque à Sang, c’est justement une soif, un objectif
et c’est devant un personnage sans but que le spectateur se voit
cloué à endurer les états d’âmes d’un
être impossible, mais dont les tactiques de subterfuges représentent
un fleuron de l’humour noir du cinéma de genre. Comme le
vampirisme est chose de Satan, la soif en tout genre finit par posséder
notre prêtre bientôt assoiffé de sexe et de chair
et qui trouvera satiété dans le corps presque vierge de
Tae ju (jouée de façon sublime par la nouvelle venue Kim
Ok-vin) qui, charmée par le pasteur pervers, organisera le meurtre
de son mari via la sauvagerie de son compagnon vampire aveuglé
par un plaisir inconnu. La première envolée du couple
au-dessus des immeubles captée par cette caméra attachée
au corps de Tae ju fait pivoter le récit autour de son propre
axe de désir. Le spectateur qui se voyait témoin d’une
métamorphose morbide embarque dans le manège de Sang où,
comme la nouvelle amoureuse, le réalisme cru du film et le jeu
désinvolte des acteurs fait naître un comique irrévérencieux
dans lequel les jeux de métaphores visuelles sont à la
fois d’une efficacité et d’une drôlerie sans
pareil. Placés dans cette toile signée Park Chan-wook,
les multiples personnages font révolution autour d’un nouveau
couple né dans le sang et dont la destiné fait de ce même
entourage l’endroit d’un massacre climatique imposant.
C’est un film vaste en obsessions, en individus, en implications,
en actants désirant un objet bien que personne ne réussira
à trouver son compte à la fin du parcours. Tous insatisfaits,
tous pêcheurs (donc devant tous « aller en Enfer »),
la caméra est elle aussi pêcheresse, car elle témoigne
de la démagogie des événements. Elle esthétise
la violence sans jamais la rendre complaisante, en la laissant toujours
en mesure de s’accaparer une puissance dramatique; le meurtre
de la fille devant les yeux d'une mère paralysée, un patient
siffoné à sec, une fracture ouverte par-ci, une pénétration
par-là, on demeure dans le toujours cruel registre des pulsions
violentes et sexuelles. À l’aide de certains des plus beaux
plans-séquences que le cinéma des dernières années
se soit offert, la mise en scène de Chan-wook est complice d’une
longue divagation sur la puissance et le couroux de l’amour. Celui-ci,
tout comme le meurtre, à raison du montage qui ferait s’éclater
la temporalité d’un moment trop puissant et lors duquel
la prouesse technique d’un mouvement de caméra excessif
vient s’ajouter à la luxure de la vie nocturne du couple
maudit.
Au terme d’un scénario parfois aléatoire, mais au
plus souvent juste et rythmé, Chan-wook rappelle Murnau, non
pour son vampire fondateur, mais bien pour son Sunrise et ce
fameux meurtre sur le lac. Un meurtre qui, en séparant la destiné
de deux âmes, les font se rejoindre par la damnation éternelle
qu’apporte l’adultère dans l’iconographie chrétienne.
On pense aussi au cinéaste allemand par le désir d’explorer
les avenues esthétiques du cinéma et dans le risque pris
par Chan-wook de raconter ses moments les plus clés par le positionnement
de figures dument façonnées par leurs crises et hantises
incurables. Le bain de sang terminé, Sang perd patience et s’offre
en sacrifice avec Tae ju au soleil levant. Sunrise magnifique
qui juge enfin les monstres arrivant au bout de l’abîme
ensembles, ils ne leurs reste que les rêves et la promesse d’une
vie meilleure dans l’autre monde. Thirst ne permet cependant
aucune rédemption puisque Tae ju l’affirme elle-même
: « après la mort, il n’y a rien » alors que
Sang penche la tête et offre son sempiternel silence comme seule
réponse. Amateur de grands récits, Park Chan-wook n’est
peut-être jamais parvenu à aussi bien rivaliser avec ces
titans d'autrefois.
Version française : -
Version originale :
Bakjwi
Scénario :
Jeong Seo-Gyeong, Park Chan-wook
Distribution :
Song Kang-ho, Kim Ok-vin, Kim Hae-sook, Shin Ha-kyun
Durée :
133 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
13 Juillet 2009