THANK YOU FOR SMOKING (2005)
Jason Reitman
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Nick Naylor est, en tout et pour tout, la définition même
d'un type sans éthique. À tous les jours, il sillonne
l'appareil médiatique américain dans le but de défendre
les intérêts des multinationales du tabac. Pour payer son
hypothèque, nous assure-t-il. Le midi, il dîne en compagnie
de Polly et Bobby Jay, respectivement lobbyistes pour l'industrie de
l'alcool et des armes à feu. Ce sont ses seuls amis; ils comprennent
la position qu'il a choisit d'assumer. Nick est la face publique d'un
cancer de la société; il a appris à ne jamais dire
ce qu'il pense réellement et à gagner tous les débats
auxquels il participe. C'est un hypocrite professionnel, et force est
d'admettre qu'il est plutôt doué. Son fils l'admire. Ses
patrons sont conscients de son importance. Le public américain
le tolère. Les caméras aiment ce Marlboro Man nouveau
genre, capable de défendre la cause de la cigarette malgré
toutes ces études scientifiques qui prétendent qu'elle
a quelques vagues effets néfastes sur la santé humaine.
Nick Naylor est surtout l'archétype d'une nouvelle forme d'antihéros
à l'américaine, cette homme sans morale et sans états
d'âme qu'incarnait par exemple Nicolas Cage dans le Lord of
War d'Andrew Niccol. Comme plusieurs protagonistes du cinéma
populaire étasunien avant lui, Naylor a su sacrifier ses principes
au nom du travail, de la gloire et de l'argent. Mais, à la différence
de ses prédécesseurs, cette pure créature de l'univers
médiatique moderne qu'est Naylor ne semble pas souffrir les affres
du remords. Thank You For Smoking, du nouveau venu Jason Reitman,
ne tente pas de faire le procès en bonne et dû forme de
ce personnage. Son film n'est pas non plus une attaque en règle
contre l'industrie du tabac, quoiqu'il se permette quelques bonnes blagues
à ses dépends.
En fait, Thank You For Smoking livre sur le mode de la comédie
cynique une petite réflexion sur le rôle de l'individu
dans la société doublé d'un examen de conscience
; peut-on toute notre vie gagner notre pain en vendant la mort un sourire
vendeur collé aux lèvres. Sommes-nous responsables des
actions de ceux pour lesquels on travaille? Sans trop sortir des rangs,
Thank Your For Smoking arrive avec un modeste succès
à déjouer quelques-unes des conventions du modèle
de la comédie américaine sans pour autant perdre de son
efficacité de publicité. Cette approche somme toute plus
nuancée s'avère rafraîchissante à une époque
où les comédies populaires sont règle générale
de boiteuses excuses pour procéder à la glorification
hypocrite de la famille, du mariage et d'une pléthore de bonnes
vieilles valeurs chrétiennes.
Sans qu'on ne s'y éclate nécessairement la rate, Thank
You For Smoking s'avère somme toute fort divertissant; son
rythme soutenu, au service d'un humour parfois plutôt grinçant,
pique notre intérêt pour par la suite nous tenir en haleine
jusqu'à la toute fin. C'est d'ailleurs par sa conclusion intègre,
où Reitman refuse de trahir l'esprit de ses personnages afin
de nous assommer d'une finale formatée et prédigérée,
que le film confirme à tout le moins le sérieux de la
démarche créative dont il est le fruit. Ici, comme tout
au long du film, le réalisateur décide d'assumer pleinement
son détachement et sa froide ironie: homme dont la réalité
concrète se construit à même l'illusoire et l'artificiel,
Naylor n'est pas contraint par la magie du cinéma à se
réinventer bon samaritain pour les besoins d'une finale idéaliste
et idyllique.
Ainsi, Jason Reitman signe avec Thank You For Smoking un divertissement
léger mais intelligent dont le spectateur pourra faire ce qu'il
veut. D'un bord, on pourra lire une apologie du comportement de Naylor
et de tous ceux qui comme lui exploitent l'argument du «yuppie
de Nuremberg» pour se déculpabiliser. D'autre part, certains
verront en ce film la critique éloquente mais empreinte de retenue
d'un monde où le mensonge, quand il sort de la bonne bouche,
est toléré sans trop d'indignation. Peu importe ce que
l'on en pensera, on s'entendra pour dire que le film de Reitman se démarque
par son propos somme toute nuancé; à une époque
où le cinéma américain nous marque principalement
par son ton manichéen, cette perspective a quelque chose d'alléchant.
Version française : -
Scénario :
Jason Reitman, Christopher Buckley
Distribution :
Aaron Eckhart, Maria Bello, Cameron Bright, Adam
Brody
Durée :
92 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
3 Octobre 2006