TAXIDERMIA (2006)
György Palfi
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Fragmentation et provocation sont l'essence même de l'hallucinant
Taxidermia, oeuvre surréaliste relatant les événements
ayant marqué la Hongrie au vingtième de la plus étrange
des manières; si le tout débute sur une séance
de masturbation de l'homme au pénis-chalumeau, ce n'est que pour
mieux plonger par la suite dans un univers délirant où
les compétitions officielles de digestion rapide du royaume socialiste
poussent les obèses devenus vieux à gaver de margarine
des chats géants pour en faire de véritables champions.
Taxidermia, c'est le triomphe de l'imagination aux dépends
de la cohérence narrative. C'est l'extermination du bon goût
s'opérant à grand renfort de taxidermistes pratiquant
l'auto-empaillement pour s'immortaliser en tant qu'oeuvres d'art. D'un
cynisme grinçant, ce spectacle grotesque que signe le réalisateur
d'Hukkle Györgi Pàfi est en quelque sorte le descendant
extrémiste des sketches les plus tordus de Monty Python. On s'y
bidonne sauvagement tout en ayant le goût de vomir, ce qui semble
d'ailleurs être le but avoué de cette fable où trois
générations se succèdent dans l'absurdité
consommée.
Délirant, le film de Pàlfi l'est sans aucun compromis.
À partir d'une trame narrative dont les fils conducteurs sont
parfaitement disjonctés, le réalisateur dresse une critique
acidulée d'un monde où l'homme est réduit à
une vulgaire enveloppe de chair consommante et désirante. Que
ce soit par le sexe ou la célébrité, les personnages
de Taxidermia sont toujours à la recherche d'une satisfaction
bassement matérialiste. Le film de Pàlfi n'évite
pas cette voie; c'est un spectacle visuel riche en calories où
notre rétine se rassasie d'images vulgaires et tordues où
les corps sont déformés en d'horribles rictus de plénitude
malsaine. En ce sens, elle approche parfois les idées d'un artiste
visuel tel Matthew Barney; sauf que là où Barney filme
une oeuvre d'art visuel sans réellement maîtriser la caméra,
Pàlfi produit un véritable cinéma à vocation
artistique.
Ainsi, Taxidermia exploite de manière inspirée
les nuances du langage cinématographique tout en s'affairant
à en proposer un traitement empreint de la plus virulente des
dérisions. Les transitions élaborées sont articulées
avec une virtuosité étourdissante pour parfois se conclure
sur un gag scatologique inusité. Certains plans sont de véritables
prouesses techniques; la direction photo, pour sa part, s'avère
absolument impeccable. Pourtant, l'univers hautement inventif de Pàlfi
arpente les égouts de l'expérience humaine. Authentique
festin pour les yeux, Taxidermia habite un espace étrange
entre le grand art et l'humour de bas niveau. Sa facture visuelle impeccable
sert à l'illustration d'un spectacle savamment grossier et vulgaire
pour toutes les bonnes raisons.
D'emblée, le film n'est pas pour tous et choquera les âmes
sensibles. Pourtant, sa façon d'enrober l'ignoble d'un sucre
esthétique en rend la consommation plus aisée. Rarement
la traversée des horreurs de la Seconde Guerre mondiale et de
la dictature soviétique nous aura-t-elle semblé aussi
ludique; la finale du film, d'ailleurs, retourne en quelque sorte l'oeil
critique de la caméra vers le spectateur. Une foule de consommateurs
d'art, massée autour du fruit de trois générations
de souffrance et d'amour déçus, se délecte de la
vue du corps démembré d'un suicidé. Sommes-nous
devenus de simples amateurs de souffrance, consommateurs du nec plus
ultra de la déchéance?
Ingénieusement, Taxidermia évite de tomber dans
les tendances qu'il dénonce. Foncièrement jouissif, le
film de Pàlfi jubile de ses excès et célèbre
avec un sarcasme grinçant sa propre décadence. Cette foire
délirante où se croisent Buñuel et Gilliam n'a
que faire de la pitié et du chagrin. Le laid s'y sublime sans
pour autant se nier. Et, dans les décombres fumants de la société
qu'il dépeint, il reste à tout le moins cet humour violent
qu'arborent les derniers survivants. Pessimiste et festif à la
fois, Taxidermia déboussole et fascine. Âmes sensibles
s'abstenir.
Version française : -
Scénario : György Palfi, Zsofia Ruttkay
Distribution : Csaba Czene, Gergely Trocsanyi, Piroska Molnar,
Adél Stanczel
Durée : 91 minutes
Origine : Hongrie, Autriche, France
Publiée le : 24 Octobre 2006
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