TAKESHIS' (2005)
Takeshi Kitano
Par Alexandre Fontaine Rousseau
C'est pas toujours facile d'être Takeshi Kitano! C'est à
tout le moins ce que semble affirmer Takeshis', le plus récent
film du célèbre réalisateur japonais. Comédie
absurde, truffée d'auto-références, Takeshis'
est centré sur le personnage de Takeshi «Beat» Kitano,
acteur et réalisateur, et d'un malheureux sosie de celui-ci travaillant
dans une épicerie. Un double-rôle dont s'acquitte avec
un naturel évident monsieur Kitano. Pas besoin d'un doctorat
en études cinématographiques pour saisir que Takeshis'
est le genre de projet légèrement nombriliste que seul
peut se permettre de signer un réalisateur confiant et respecté
capable d'une certaine vanité. Sans avoir livré son propre
petit 8½, quoique les liens soient possibles, Takeshi
Kitano offre ici à ses plus fervents admirateurs un exercice
auto-parodique intriguant et fort amusant à défaut d'être
vraiment éclairant.
La prémisse initiale n'est pas sans rappeler Le prince et
le pauvre: le puissant «Beat» Takeshi rencontre lors
d'un passage dans un studio de télévision un clown qui,
une fois son maquillage enlevé, lui ressemble à s'y méprendre.
Kitano, car c'est le nom de ce double, est un acteur raté que
l'absence totale de colonne vertébrale a transformé en
souffre-douleur de son entourage. Il passe des auditions mais n'est
pas pris en considération parce qu'avec ses cheveux teints, il
ressemble à vous savez qui. Dans ses rêves, il devient
cependant une vedette d'action à l'instar de «Beat»,
flingant des hordes yakuzas dans de violentes séquences surréalistes
filmées à la manière Kitano. Mais même dans
cet univers imaginaire il demeure la victime de ses connaissances.
De prime abord, Takeshis' n'est pas un film à prendre
au sérieux. C'est un gros divertissement excité pour cinéphile
blasé, le genre de gymnastique mentale entre les stades de consciences
et de réalités que l'on s'amuse à disséquer
sans pour autant en retirer de grande illumination sur autre sujet que
l'état d'esprit du réalisateur lui-même. Ici, Kitano
calque Kitano avec humour, s'amusant à présenter les éléments
stylistiques caractéristiques de son esthétique sous un
angle caricatural et exacerbé. Ses éclats soudains de
violence nous sautent dessus sans crier gare. Puis s'accumulent jusqu'à
atteindre le stade de délire total lors de cette formidable scène
sur la plage où «Beat» affronte samouraïs et
policiers en vidant plus de chargeurs que Schwarzenegger dans Commando.
Avec Takeshis', le réalisateur japonais a décidé
de repousser les limites de son cinéma et, dans le même
élan extatique, celles de la patience de son public.
Ceux qui l'accusaient de faire couler beaucoup de sang pour rien dans
Zatoichi arriverons probablement à la conclusion qu'avec
Takeshis', il vient de perdre tout contact avec la réalité.
Mais les mordus, eux, ne démordront pas. C'est de toute évidence
pour eux qu'a été conçu cet exercice de style éclaté
et dynamique dont le montage percutant révèle dans sa
démesure tous les petits trucs d'un réalisateur aguerri
au style abouti. Ce montage, c'est d'ailleurs la force principale du
film. Car ses ellipses et ses associations surprenantes permettent d'articuler
en un film cohérent une histoire qui ne l'est pas vraiment. En
ce sens, il s'agit d'une évolution de son film Dolls
qui explorait la relation entre le réel et l'irréel avec
un montage similaire.
Par cette débauche d'images surréalistes, Takeshis'
expose le drame d'un réalisateur incapable de se séparer
de sa marque de commerce, écoeuré par l'univers du show-business,
et révèle par l'entremise d'un alter-ego timide sa personnalité
privée. Difficile de percevoir cette attaque en règle
contre l'univers des yakuzas comme autre chose qu'un pied-de-nez comique
au genre qui a fait la renommée de Kitano. Mais si la lecture
au second degré est possible voire nécessaire, elle ne
semble pas être recommandée à priori par le réalisateur.
Takeshis' est un film à sentir et à vivre avant
d'être à étudier, affirme Kitano. C'est aussi une
création hautement personnelle, franchement étrange et
très originale où le réalisateur se permet tous
les excès qu'il garde habituellement pour lui. En fin de compte,
cette rencontre entre Fellini et Takeshi a tout pour dérouter
et fasciner à la fois. Car, suite à l'aventure dite commerciale
de Zatoichi, ce Takeshis' garantit 500% Takeshi en
confondra plusieurs. Ce qui semble d'ailleurs être le but avoué
du réalisateur, qui s'est payé tout un trip à nos
dépends.
Version française :
Takeshis'
Scénario :
Takeshi Kitano
Distribution :
Takeshi Kitano, Kayoko Kishimoto, Ren Osugi, Susumu
Terajima
Durée :
108 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
28 Octobre 2005