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TAKEN (2008)
Pierre Morel

Par Louis Filiatrault

« Produit par Luc Besson » ; la formule est désormais ubiquitaire, mais demeure chargée d'implications. Depuis Taxi, l'homme-industrie à la feuille de route jadis impeccable s'est montré capable du meilleur (l'incontournable Cinquième élément, le rafraîchissant Unleashed...) comme du pire (Angel-A, Transporter 3...), s'est associé à la production des oeuvres d'auteur les plus audacieuses comme aux films d'exploitation les plus nauséabonds. Franchement difficile à saisir, l'authentique mégalomane semble avoir pour seule constante la volonté de faire le pont entre les continents ; d'entretenir, par l'entremise d'un cinéma « sans frontières », une sorte de communion universelle devant l'autel du divertissement. Mais aussi nobles que puissent paraître ces intentions, il est inévitable qu'un moment vienne où le maître d'oeuvre dépasse les bornes de la sympathique niaiserie et révèle son jeu obscur en toute transparence. Taken est un de ceux-là: moment de gloire pour le metteur en scène Pierre Morel, ce thriller musclé se complaît dans une éthique profondément méprisable, et entraîne une sérieuse remise en question de la contribution bessonienne au patrimoine cinématographique mondial.

D'emblée, remarquons que Taken se distingue des multiples opus de Steven Seagal par une réalisation d'ordre supérieur et une interprétation assez relevée. Sans aucun doute, le réalisateur de Banlieue 13 y confirme son habileté pour la conduite narrative, qui s'avère souple et très rythmée ; à l'instar de son collègue Louis Leterrier (The Incredible Hulk), on l'imagine bien aux commandes d'une future mégaproduction. Télégraphique sans être confus, le montage aligne les informations nombreuses avec précision et fluidité, tandis que les scènes d'action demeurent économiques, vigoureuses et sagement libérées de tout dialogue. Pour sa part, l'imprévisible Liam Neeson, en manque navrant de bons rôles depuis quelques années, fait preuve d'une étonnante conviction dans son interprétation d'un guerrier taillé dans le roc et imperméable au doute. Très émotive dans les quelques scènes où elle apparaît, Maggie Grace joue également plutôt bien l'ingénue fragile, tout comme Famke Janssen en mère très... maternelle. Ces quelques éléments de qualité parviennent presque à faire de Taken un objet de plaisir légitime, mais ne s'avèrent finalement que les ingrédients superficiels de son hypocrisie grossière.

Il ne fait aucun doute que Luc Besson est très familier avec les règles et conventions de l'écriture scénaristique ; le charme principal de Unleashed reposait justement sur son étalage ludique et à peine dissimulé des clichés les plus épais. Aussi a-t-il maîtrisé rapidement l'art des structures solides et des revirements efficaces. Ceci étant dit, Taken représente à l'évidence le point culminant d'une routine scénaristique donnant aujourd'hui dans la vulgarité pure et simple. Convoquant le spectacle de la défense des êtres chers et une « intensité » convaincue en guise d'arguments de vente, le film se présente comme un infatigable pamphlet de légitimisation des actes les plus ignobles: ne se limitant pas à faire appel aux sentiments de paranoïa les plus primitifs dans sa mise en situation et son développement précipité, l'intrigue d'enlèvement familial se doit de basculer dans le sordide pour justifier tous les moyens employés. Non contents d'offrir un portrait pour le moins désavantageux de la diaspora roumaine, Besson et son collaborateur Robert Kamen se doivent également d'y ajouter les Arabes en fin de parcours, question de répartir la haine de façon équitable. Il faut dire que l'ex-agent de la CIA qu'ils ont concocté ne demandait rien de mieux que de mener une vie tranquille et de veiller au bien de sa précieuse fille, au risque de passer pour le plus tyrannique des patriarches ; comment lui en vouloir lorsque, ayant extrait de lui toutes les informations nécessaires, il choisit de laisser griller un caïd sur la chaise électrique? Tout cela passerait encore si une forme de psychologie tordue, ouvertement marquée de cicatrices, se prêtait à l'exploration de pulsions inexplicables, mais l'idéologie de Taken ne subvertit malheureusement jamais celle du bon vieux « Papa a raison » (récompenses à l'appui), et se vautre finalement dans une moralité univoque et dangereuse dont rien ne laisse deviner le moindre soupçon d'ironie.

À une époque où le cinéma d'action de bon calibre est marqué par le grotesque et l'autodérision, le sérieux absolu de Taken fait presque figure d'anomalie, rejoignant les valeurs pragmatiques du « classique » Death Wish (mises au goût du jour il y a quelque temps par Death Sentence de James Wan). Certains n'y verront qu'un excellent divertissement ou même une rafraîchissante bouffée d'air, mais l'apparente conviction et les tactiques manipulatrices que Luc Besson y déploie s'avèrent néanmoins les marques d'une politique régressive et sans nuances qui saura facilement convertir à sa cause les esprits moins portés au second degré. Cette pollution idéologique à peine voilée, aussi grisante soit-elle, ne nous semble pas exactement compter parmi les vertus endossables de toute forme de message, et mérite qu'on lui consacre une lecture attentive pour mieux comprendre ses mécanismes. Doit-on en conclure que les récits violents carburant à la détermination aveugle de leurs protagonistes sont d'avance condamnés à la médiocrité? Les derniers thrillers mettant en vedette Jodie Foster (le peu vu The Brave One en tête) ont pourtant bien montré qu'il était possible de convoquer les instincts de vengeance et de survie sans pour autant insulter l'intelligence ; même les plus récents épisodes de James Bond ont su conserver une certaine distance critique par rapport aux comportements agressifs du célèbre personnage. Face à des efforts de ce type, la dernière contribution de Besson au cinéma d'action contemporain nous semble d'une envergure bien mineure, et recouvre les efforts plus réjouissants de sa filmographie passée d'un sombre et fâcheux voile.




Version française : L'Enlèvement
Scénario : Luc Besson, Robert Mark Kamen
Distribution : Liam Neeson, Famke Janssen, Leland Orser, Radivoje Bukvic
Durée : 93 minutes
Origine : France

Publiée le : 20 Mai 2009