SYRIANA (2005)
Stephen Gaghan
Par Jean-François Vandeuren
Mis à part l’eau, le pétrole est assurément
la ressource naturelle ayant le plus d’impact sur la vie d’à
peu près tout le monde vivant sur cette planète et, du
même coup, est la plus convoitée par les grandes puissances
mondiales. Le problème, c’est que la grande majorité
de ce qui en reste se retrouve dans une des régions les plus
à problèmes du globe : le Moyen-Orient. Est-ce que le
chaos dans lequel sont plongés ces pays et cette course au pétrole
sont étroitement liés? C’est ce que tente de démystifier
Syriana à travers un casse-tête politique et social
ayant pour point de départ la fusion entre deux pétrolières
américaines qui tentent de s’implanter dans le golfe persique.
Un projet qui prendra rapidement des allures de complot lorsque la CIA
tentera de faire assassiner le prince du pays en question qui, de son
côté, voudrait plutôt conclure un accord avec la
Chine et, contrairement à son frère, ne voit aucun intérêt
à ce que les Américains débarquent dans son pays
et l’empêche d’en amorcer la reconstruction.
George Clooney aura définitivement été l’une
des figures les plus importantes du cinéma américain en
2005 grâce à ses deux projets visant à exposer les
politiques douteuses de son pays. D’une part à titre de
réalisateur avec l’exceptionnel Good Night, and Good
Luck, et ensuite en tant qu’acteur et producteur du présent
film réalisé par Stephen Gaghan, lequel avait également
signé le scénario du grandiose Traffic de Steven
Soderbergh. Un deuxième long métrage qui s’inscrit
parfaitement dans la vision du patriotisme selon Clooney qui ne repose
pas sur l’acceptation, mais plutôt sur la remise en question
des politiques d’un gouvernement. Quoi de mieux pour se faire
que de s’attaquer au dossier le plus chaud de l’actualité
depuis déjà plusieurs décennies?
Syriana s’évertue donc à démontrer
comment les politiques étrangères des États-Unis
passent avant tout par le pétrole. Comment la corruption, le
mensonge et les faux motifs d’occupation n’ont principalement
pour but que de s’approprier la région la plus riche de
la terre en la matière et, surtout, comment la violence et la
pauvreté au Moyen-Orient est devenu un facteur essentiel au confort
personnel de nos voisins du Sud. Syriana présente par
contre assez bien les deux côtés de la médaille,
à savoir qu’il y a encore des hommes de convictions aux
États-Unis comme il y a des leaders qui n’ont aucunement
à cœur le sort de leur peuple au Moyen-Orient. Le film démontre
par contre un réel respect face à la culture et le peuple
arabes en allant beaucoup plus loin que la plupart des généralités
érigées par les États-Unis à leur égard,
particulièrement en ce qui a trait au terrorisme. Par rapport
à ce point, le film de Gaghan ne porte aucunement un regard accusateur
et met plutôt en évidence une situation découlant
d’une série de cause à effet, mais n'essaie évidemment
en aucun cas d'en encourager l'existence.
Le cinéaste américain propose ainsi un portrait d’ensemble
aussi politique que social et économique, superbement exécuté.
Gaghan signe de ce fait un deuxième long métrage à
titre de réalisateur qui ne se veut aucunement à l’image
de son premier film, le très discutable, pour ne pas dire inutile,
Abandon. Syriana est par contre une oeuvre qui exprime son
point de vue beaucoup plus par le biais de dialogues très directs
que par son approche visuelle, ce qui occasionne une certaine lourdeur
dans la manière dont le récit évolue. Celui-ci
bénéficie ainsi d’un montage particulièrement
fluide, mais qui ne l’avantage pas toujours, étant donné
l’absence de pauses qui aurait pu facilement aider à mettre
en évidence certaines séquences plus importantes. Gaghan
parvient tout de même par sa réalisation à exprimer
clairement les points cruciaux de son discours en ne s’éloignant
pas trop non plus de ce à quoi aurait pu ressembler le film s’il
avait porté la signature de Steven Soderbergh. Comme la plupart
des films produits ou réalisés par ce dernier, Syriana
compte également sur un casting extrêmement pertinent misant
autant sur la trempe d’acteurs tels que Matt Damon, Christopher
Plummer et Chris Cooper, que sur la grande force de ses interprètes
d’origine arabe comme Alexander Siddig qui s’avèrent
être les vraies vedettes du présent film.
Stephen Gaghan signe donc une œuvre nécessaire qui arrive
au bon moment pour qu’il puisse agrémenter le débat
sans que cela ne paraisse trop opportuniste. Mais vu sa forme, le problème
majeur de Syriana demeure par contre qu’il n’aura
peut-être pas la chance de véhiculer ses idées à
un public aussi vaste qu’il devrait et risque ainsi de n'attirer,
comme c’est souvent le cas, que ceux ayant déjà
été mis au courant. De leur côté, ceux-ci
auront la chance d’assister à une sublime orchestration
des interactions entre les différentes sphères politiques
et économiques présentes dans ce dossier. La mise en scène
de Stephen Gaghan ne marque peut-être pas avec autant de rythme
que dans Traffic les interconnexions entre chacun de ces domaines.
L’ensemble reste tout de même élaboré avec
une vigueur et une intelligence servant parfaitement un propos, souvent
complexe, mais sans sacrifier le côté humaniste qui lui
est rattaché et qui se veut, particulièrement dans Syriana,
d’une importance capitale.
Version française :
Syriana
Scénario :
Stephen Gaghan, Robert Baer (roman)
Distribution :
Jeffrey Wright, George Clooney, Matt Damon, Chris
Cooper
Durée :
126 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
22 Décembre 2005