SURVIVAL OF THE DEAD (2009)
George A. Romero
Par Mathieu Li-Goyette
C’était quand le western ne servait plus à rien.
Quand il ne faisait que confirmer son mythe, rejouer la même corde
sensible du même arc d’Amérindien mille fois scalpé.
C’est à ce moment où John Wayne dégaina son
arme et tira dans les yeux de la dépouille déjà
morte d’un Amérindien : « Dans sa religion, cela
veut dire qu’il ne reposera jamais l’âme en paix »
lançait-il dans The Searchers. John Wayne, par John
Ford (l’usuel duo) creusait la tombe du anti-héros et,
ensemble, le faisaient tanguer d’un côté comme de
l’autre du manichéisme hollywoodien d’où il
était issu. Pourtant, l’Amérindien n’a jamais
réellement intéressé Ford, ni le cowboy, ni son
damné Monument Valley où l’imaginaire états-unien
semblait semblait plutôt prendre forme de lui-même : pour
cet amour des symboles et pour son esthétisme, on consacra jadis
Ford comme un grand cinéaste.
Aujourd’hui, c'est le film de morts-vivants qui ne sert plus à
rien.
En fait, c’est aujourd’hui que le cinéma fait par
Romero et ses morts-vivants (un autre duo) vient confirmer après
le détour brillant de Diary of the Dead qu’il
a repris les armes d’un combat sensible. En faisant preuve d’un
génie renouvelé alors que le film de morts-vivants, sorte
de métaphore répétée ad nauseam
par l’intelligentsia underground (les masses contres les individus,
les révolutions contre le pouvoir en place, etc.), fait du surplace
dans un créneau attaqué de tous côtés par
le remake et par de nouvelles réappropriations rarement pertinentes
(excluons Shaun of the Dead pour sa bonne cause), c'est d'un
génie renouvelé dont il est question. Une oeuvre où
le maître poursuit dans la lancée de son Diary of the
Dead (les militaires de ce dernier film forment d’ailleurs
une part des personnages de son nouveau-né), elle s’attaque
de façon virulente et sans concession à la violence obligée
du cinéma et de sa réalité filmée. Brièvement
en lançant une flèche aux nouveaux médias pour
ensuite plonger dans le pire musée américain : le western
et son puritanisme aux puissants contrastes, Romero aura ensuite recourt
à un humour burlesque fièrement affiché qu'on sait
de plus en plus approprié (lez zombies marcheurs ne sont plus
effrayants depuis qu'ils ont appris à courir...). La mise en
scène de la tension et des tiraillements d’un groupuscule
fera foi, pour sa part, d’une maîtrise devenue routinière
pour le grand cinéaste qui affiche au passage la réalisation
la plus synthétique et la plus régulière de sa
carrière.
Attirés par un message reçu par la toile internet, des
militaires se dirigent vers un port municipal où, non sans y
perdre patience et balles face à des pêcheurs exilés,
ils trouvent le navire qui les mènera sur une île de la
côte Est américaine. Sur celle-ci, deux familles se font
la guerre : doit-on tuer les morts-vivants (ils veulent nous manger
après tout) ou doit-on les protéger (au cas où
nous trouverions un remède). Débat simpliste dans lequel
aborder l’euthanasie sur l’être humain serait s’égarer
dans de disparates analyses, ce Survival of the Dead est à
proprement dit un film sur la survie, la valeur de la vie humaine et
sur la détermination mise de l’avant par les humains entre
eux pour se l’enlever. Toujours réputé pour mettre
en scène des drames humains pervers au sein de ses réalisations,
Romero fait ici de ces fameux moments la pierre angulaire d’un
film chargé en pastiches et en homicides. Porté par la
religion et ses exigences, c’est de la même profanation
dont Wayne se faisait l’exécuteur dans The Searchers
dont Romero nous évoque le souvenir. Les morts-vivants sont morts,
nous pouvons nous permettre de les tuer de nouveau (comme il l’annonçait
dans l’épilogue de Diary of the Dead) et de se
positionner comme bon ou méchant face au mal absolu et générique;
après tout, le mort-vivant chez Romero est aussi générique
que le peau-rouge fordien de Searchers. Relégué
au statut de figurant, la créature romérienne n’est
plus l’antagoniste d’un film mettant plutôt en vedette
deux familles enragées et entre lesquelles tente de survivre
un groupe de soldats peu significatif et qui, par le choix d’un
montage sensiblement axé sur la dénonciation des hérésies
religieuse, écarte rapidement l’idée que cette dernière
oeuvre en est encore une faisant état d’une suprématie
militaire.
Car si Night of the Living Dead dénonçait bien
malgré lui le racisme, Dawn of the Dead la société
de consommation, Day of the Dead le contrôle de l’état
par l’armée, la folie au nom de la science, Survival
of the Dead raconte le film de morts-vivants crépusculaire
dans lequel, épuré de ses anciens discours, seule la critique
de la religion et du rôle d’actant fondamentalement lié
au récit classique (et à l’acte de raconter, l’acte
d’être cinéaste pour Romero) demeure au goût
du jour. Mené par un vieil homme et sa bande de cowboys à
l’accent westernien surfait, crucifix et revolver en main, la
troupe demeurée sur l’île souhaite sauver les morts
et s’en prendra aux exilés au grossier accent irlandais
(Ford était Irlandais d'ailleurs! Passons...) et aux réactions
punitives extrêmes. Le « bien » contre le «
mal », les cowboys contre les fermiers et pêcheurs, exilés
le temps d’une séquence sur la terre mère de l’Amérique
à la recherche de la cavalerie (l’armée) pour mettre
un peu d’ordre dans le village (l’île) peuplée
d’hors-la-loi (les héros?) soudainement antagonistes à
l’équation bien classique. En effet, ceux que l’on
croyait « gentils » s’avèrent finalement des
salauds capables de tuer d’innocents humains tout en se permettant
souvent au passage de transgresser leur entente de non-agression envers
la population morte-vivante. Situé à l’Est (donc
tout à l’opposé de l’Ouest et son imagerie),
Romero fait s’affronter ses préconceptions d’environnements
restreints aux grandes et vertes prairies d’un gigantesque bac
à sable où créatures, citoyens armés et
militaires castrés (à un point tel que le plus viril est
une femme lesbienne) se font la guerre sous le ciel de l’apocalypse;
les morts se réveillent, la mythologie du film de zombies nous
l’a déjà fait comprendre à maintes occasions.
« Nous nous battons depuis la petite école » lançait
le chef des fermiers pendant que l’on s’épate encore
de ce dernier plan où, sous un clair de lune - le parfait crépuscule
pour un maître de l’horreur - les deux parangons d’une
même cause devenus morts-vivants se flinguent à tout vent.
Plus aucune réflexion, plus aucune raison à part de faire
ce qu’ils ont toujours sur faire de mieux : tuer son prochain
ad vitam eternam jusqu’à ce que l’on en
oublie la cause. En condamnant ainsi l’humanité à
devenir zombie, Romero exprime un point de cécité essentiel
aux conflits armés du début du 21e siècle tout
en ramassant au passage le manichéisme stupide que remettait
en question dès les années 50 Ford et son film sur un
héroïsme soudainement pessimiste et remis en cause par ses
allégeances judéo-chrétiennes; la fin d'une «
raison » au conflit et l'écartement d'une notion arbitraire.
D’abord parce que l’héroïsme doit être
soumis par définition à cette relecture, ensuite parce
que le film de morts-vivants tel que Romero le conçoit en était
probablement parvenu en 40 ans à ce degré de maturité
lors duquel, après s’être attaqué récemment
aux nouveaux médias, il se devait de reconstruire ses mécanismes
d’action-réaction (d'oeil pour oeil, dent pour dent) pour
survivre de nouveau. Oui, les morts-vivants de l’ami Romero survivent.
Ils sont au rendez-vous dans une explosion sanglante à souhait,
hilarante comme rarement ils l’auront été, mais
il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont jamais paru
autant comme les pantins d’un discours supérieur à
celui des chairs mortifiées. Permettrons-nous un jour d’y
voir la lucidité d’un grand alchimiste de la mythologie
américaine? Lui aussi n’a que faire de ses zombies, de
ses huis-clos, de ses soldats : dira-t-on qu’il a été
un grand cinéaste américain pour autant? D’ici là,
il nous est au moins permis d’écrire et d’en rêver.
Version française : -
Scénario :
George A. Romero
Distribution :
Kathleen Munroe, Alan Van Sprang, Julian Richings,
Athena Karkanis
Durée :
90 minutes
Origine :
États-Unis, Canada
Publiée le :
10 Octobre 2009