LE SURVENANT (2005)
Érik Canuel
Par Louis-Jérôme Cloutier
Il y a un phénomène, un mouvement actuellement en cours
et malheureusement, peu d’indicateurs qui puissent nous laisser
croire qu’il s’essouffle. Car ce n’est pas qu’en
chanson que le Québécois moyen aime bien revenir, de façons
un peu obsédantes, sur ses classiques au point d’oublier
d’en encourager de nouveau. Le même triste constat s’applique
au cinéma québécois, les plus grosses productions
annuelles s’avèrent devenir des adaptations d’œuvre
plutôt vieillottes. Il y a d’abord eu Séraphin
qui, poussé par la vague de succès engendré par
les publicités du lait qui évoquaient de bons souvenirs
au peuple, est venue rappeler que l’on possédait de «grandes»
œuvres littéraires. Ennuyant à souhait, mais fort
d’un succès commercial indéniable, le film de Charles
Binamé nous laissait dans l’attente d’un mouvement
qui en avait sans aucun doute encore beaucoup à offrir, attention
au sarcasme. Et il y a eu les publicités de Bell, d’ailleurs
étrangement commanditaire principal du Survenant, et Nouvelle-France
bien entendu. Quoi ? Vous ne vous en rappelez plus? Si, si, vous savez
le film avec la chanson thème interprétée par Céline
Dion. Ce film de plusieurs millions coproduits avec la France que Garou
vantait fin seul comme étant un futur classique du cinéma
québécois. On connait la suite.
Le Survenant est un autre «monument» de la littérature
québécoise, un bon vieux classique du mouvement du terroir.
Livre à faire bailler, doit-on espérer miraculeusement
qu’Érik Canuel réalise un film d’époque
accompli mettant en parallèle une époque passée
avec la nôtre, ou une autre fresque historique qui n’aura
servi qu’à engloutir l’argent des contribuables québécois
tout en freinant l’apparition de nouvelles idées? Peut
importe le résultat, il restera quand même une ironie plutôt
savoureuse à toute histoire à savoir que l’on porte
sur les écrans un film tiré d’une œuvre qui
invitait les gens à s’ouvrir les yeux sur l’extérieur
et à rejeter la peur de la différence. L’œuvre
de Germaine Guèvremont se déroule au Chenal du Moine,
petit village près de Sorel. Un bon soir, un étranger
frappe à la porte des Beauchemin demandant un logis pour la nuit
et un peu de nourriture en échange de quoi il effectuera quelques
menus travaux. Surnommé le Survenant, il se met peu à
peu à bouleverser l’univers plutôt renfermé
des habitants du village provoquant jalousie et mépris.
C’est d’ailleurs la plus grande qualité de ce récit,
et du film par le fait même. À travers une histoire somme
toute bien simple, on retrouve un thème récurrent, celui
de la peur de l’autre. Et puisque tout cela est ancré dans
une société québécoise terriblement renfermée
sur elle-même, le message ne pourrait mieux passer à travers
les agissements du «dieu des grands chemins». Doté
de l’excellente performance de Jean-Nicolas Verreault, le Survenant
reste un personnage marquant de ce récit. On peut remercier la
scénariste d’avoir su exploiter les facettes de ce personnage
efficacement. Mais aussi pour cette excellente scène où
le Survenant, n’en pouvant plus d’entendre les habitants
cracher systématiquement sur tout ce qu’ils ne connaissent
pas, se décide à leur faire comprendre à quel point
ils ne sauront jamais vraiment dans quel monde ils vivent. C’est
peut-être cette vigoureuse dénonciation qui fait du Survenant
un film pouvant nager un peu plus loin que Séraphin,
une dénonciation évidemment tout à fait pertinente
à notre époque, ne serait-ce que pour les considérations
évoquées précédemment.
Outre ce fait, il faut admettre que Le Survenant est un film
tout à fait... correct. Ainsi, on retrouve plusieurs ingrédients
tout à fait appréciables, dont une photographie ma foi
très belle qui met parfaitement en valeur la beauté de
plusieurs paysages. Érik Canuel, sans être un réalisateur
à tout cassé, est beaucoup plus sage ici que dans Le
Dernier Tunnel, mais beaucoup plus appliqué malgré
une certaine surabondance de certains plans en particulier et une insistance
parfois trop grande sur quelques scènes. À ce chapitre,
Le Survenant aurait mérité certaines coupures
afin d’avoir un récit ayant davantage de rigueur. Notamment,
la relation entre le Survenant et Angélina prend davantage de
place qu’elle ne devrait. Aucun mal à vouloir développer
en profondeur une relation amoureuse, mais le propos tourne rapidement
en rond au détriment de l’approfondissement des autres
personnages qui paraissent plutôt unidimensionnels mis à
part quelques exceptions. Cependant, l’autre relation notable
dans le film, celle entre Didace et le Survenant qui devient un véritable
fils pour le premier, est parfaitement intégrée au récit,
l’évolution des deux personnages étant bien amenée.
En plus de Jean-Nicolas Verreault, Gilles Renaud et Anick Lemay offrent
de très bonnes performances dans leur rôle respectif, jouant
avec nuance et conviction. Les personnages secondaires étant
ce qu’ils sont, des accessoires, les comédiens les interprétant
se débrouillent tel qu’ils peuvent.
Ainsi donc, Le Survenant surprend. Attention, ne faisons pas
l’erreur de louanger inutilement un film qui n’est qu’agréable
à écouter, mais sans plus. Mais rendons à César
ce qui appartient à César, il fait plaisir de voir que
l’on a produit un film appréciable possédant quelques
qualités indéniables justifiant son existence. Bien sûr,
jamais Le Survenant n’aurait apparu sur les écrans
en dehors du contexte actuel, mais au moins, ce film n’a pas été
produit seulement pour être produit. Pourrons-nous en dire autant
d’Aurore? Et par pitié, retirez cette horrible
chanson thème de Sylvain Cossette.
Version française : -
Scénario :
Diane Cailhier, Germaine Guèvremont (roman)
Distribution :
Jean-Nicolas Verreault, Anick Lemay, Gilles Renaud
Durée :
133 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
29 Avril 2005