SUR LE SEUIL (2003)
Éric Tessier
Par Louis-Jérôme Cloutier
Sur le seuil constitue un rare exploit du cinéma québécois.
Pas nécessairement de par sa qualité, mais plutôt
par le fait que les essais du genre sont rarement présent dans
nos productions maisons. Le collectionneur, un peu dans la
même catégorie, a lamentablement échoué à
sa sortie. Le nouveau film d’Éric Tessier arrive-t-il à
enfin apporter sur nos écrans un thriller d’horreur québécois
réussi? Chose sure, il représente peut-être une
étape cruciale du succès de notre marché cinématographique.
Avec Les Invasions barbares et La Grande séduction,
le Québec a réussi à compétitionner les
blockbusters américains tout en s’ouvrant aux
marchés étrangers. Il est également possible que
Sur le seuil pourrait être repris ailleurs dépendamment
de son succès. Tiré d’un roman de Patrick Sénécal,
qui a écrit le scénario avec le réalisateur Éric
Tessier, il constitue un bon film qui possède un potentiel plus
grand que ce dont on en a tiré.
Le tout commence par une séquence d’introduction des plus
ordinaires, mais débouche sur un générique d’ouverture
inspirée de Se7en et baignant dans une musique techno-horreur
laissant présager le meilleur. Thomas Roy est un célèbre
auteur que l’on retrouve les doigts coupés au bord du suicide
dans son appartement. Le psychiatre Paul Lacasse tente de percer son
mystère jusqu’à ce qu’il s’aperçoive
que l’Oeuvre de Roy est reliée à plusieurs actes
sanguinaires ayant véritablement eu lieu au cours des années.
Suite à ce départ prometteur, le film perd de son rythme
assez rapidement pour tomber durant plusieurs minutes dans une série
de conversations d’enquête un peu longues, redondantes et
dont certaines sont superflues. Heureusement, la venue du journaliste
vient mettre un peu de piquant et augmente le niveau de mystère.
À partir de cet instant, le rythme qui manquait de constance
depuis le début s’installe avec davantage de fermeté.
La suite du récit développe un suspense des plus intéressants
même s’il n’existe pas vraiment de retournements ou
de surprise vraiment incroyable sauf dans les derniers instants. À
ce chapitre, la bande-annonce en dévoilait défénitivement
trop sur l’histoire. Quand même, le fantastique est exploité
avec brio dans un mélange avec la réalité des plus
satisfaisants. Le personnage de Michel Côté refuse avec
réalisme, au départ, de croire à toute irrationalité.
Il y a également une dualité religion contre science qui
est un ajout très intéressant alors que l’un des
personnages affirme lui-même que ni l’une ni l’autre
des deux voies ne peut fournir la réponse cette fois-ci.
Cependant, la réalisation est plus qu’ordinaire et bien
que certains plans soient intéressants, d’autres manquent
d’imagination. Le style lui-même est beaucoup plus réussi
avec des flashbacks bien dosés qui cadrent bien dans le récit
tout en ayant une signification. Michel Côté offre une
excellente interpretation dans la peau d’un personnage dépassé
par les évènements et à bout de force. C’est
ici que le titre prend tout son sens puisque Lacasse semble parfois
frôler la détresse. Si Patrick Huard s’en tire bien,
on ne peut en dire autant du look que l’on lui a donné.
Disons que ce n’est pas une très bonne représentation
d’un écrivain et comme le soulignait un autre critique,
on se rapproche davantage du style d’une vedette rock. Jean L’Italien
offre aussi une bonne composition dans son rôle d’un journaliste
qui ne tombe pas trop dans les stéréotypes. La déception
vient de Catherine Florent qui semble parfois figé sur son texte
alors qu’elle devient à d’autres moments bien plus
naturelle. En retournant au film lui-même, la dernière
heure est sans doute la plus réussie avec une finale à
en faire frissonner par son audace. Dommage que l’on n’ait
pas arrêté le tout à cet instant et que les fameux
mots «6 mois plus tard» soient apparus sur l’écran.
Sur le seuil est donc un film de solide qualité qui
utilise avec efficacité les recettes éprouvées
du genre. Sans avoir réinventé la roue, on offre un produit
que l’on voit rarement dans le cinéma québécois.
Il reste que le matériel en présence aurait sans aucun
doute permis d’en tirer une meilleure production entre de meilleures
mains. Cependant, considérant tous les récents échecs
du genre aux États-Unis, on ne peut que féliciter Éric
Tessier pour avoir réussi à faire franchir au cinéma
québécois un nouveau seuil.
Version française : -
Scénario :
Éric Tessier, Patrick Senécal
(roman)
Distribution :
Michel Côté, Patrick Huard, Jean-Pierre
Bergeron, Nicolas Canuel
Durée :
99 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
5 Octobre 2003