SUNSET BOULEVARD (1950)
Billy Wilder
Par Frédéric Rochefort-Allie
Non loin de Hollywood Boulevard, du parc Griffith, triomphe les lettres
qui forment le mot de l'illusion: Hollywood! Des dynasties et des empires
de légendes du grand écran sont montées vers le
firmament pour finalement s'écraser au dur mur du temps, les
détruisant. Ça c'est la dure réalité du
showbiz. «There's no business like showbusiness»
comme nous le disait Annie Okley. Si cet El Dorado moderne fait rêver,
pour certains acteurs le réveil est plus pénible que d'autres.
C'est dans cet univers d'une nostalgie tragique que Billy Wilder nous
présente son portrait de l'industrie.
Un jeune scénariste de série-b sans le sou, Joe Gillis
(William Holden), sauve son automobile des huissiers en la planquant
dans le garage d'une villa californienne délabrée. C'est
alors qu'il fait la rencontre de Norma Desmond, une vielle actrice rongée
par la destruction de sa carrière par l'arrivée du parlant,
qui espère retourner au grand écran. Il devra donc l'aider
à retourner sous les projecteurs.
Ce n'est pas tous les jours, et encore moins dans les années
50, qu'un film dénonce avec autant d'ardeur la situation du système
hollywoodien. À l'époque, les films étaient extrêmement
codifiés et le politically correct était quasi
obligatoire. Bref, les scénaristes disposaient de bien moins
de libertés que présentement. Avec Sunset Boulevard,
Billy Wilder se permet d'amalgamer réalité et fiction
pour créer un film semi-autobiographique. Chaque décors,
ou presque, est méticuleusement choisi dans un désir d'authenticité
à l'univers d'Hollywood. Par exemple, le bar où traine
Joe Gillis le scénariste n'est d'autre que le même bar
où de nombreuses vedettes de cinéma, dont Charles Chaplin,
sortaient entre amis. Les accessoires sont tout aussi recherchés
au niveau de leur signification. Même les personnages sont bâtis
selon la distribution d'acteurs et leurs ressemblent terriblement.
Quels acteurs d'ailleurs! Impossible de reprocher quoi que ce soit à
qui que ce soit car il s'agit d'un sombre autoportrait. Rarement aura-t-on
vu distribution plus solide dans l'histoire du cinéma, chacun
connait parfaitement son rôle. Toutefois, entre les caméos
impressionnants de gens du milieu du cinéma et les autres acteurs
tout aussi bons, on ne peut qu'être hantés par le jeu magistral
de Gloria Swanson. Comme son rôle l'exige, l'actrice inonde l'écran
de sa présence. À la fois terrifiante et pathétique,
sa personnification du personnage Norma Desmond est sans égal.
L'ancienne vedette du cinéma muet à réussi à
trouver un rôle à sa mesure. Comme son personnage le dit:
«Je suis une grande actrice, c'est les films qui sont devenus
petits».
Billy Wilder, qui connut une fin de carrière plutôt étrange,
signe ici sa plus grande oeuvre. Sunset Boulevard bénéficie
d'une excellente réalisation, rappelant vaguement les thrillers
d'Hitchcock au niveau formel. Les fans de David Lynch seront aussi ravis
d'apercevoir que l'ambiance du film, dans ses moments les plus noirs,
inspira le cinéaste. Les ressemblances avec Mulholland Dr.
sont parfois frappantes. Le même sujet, des personnages familiers,
bref une parenté qu'on ne saurait renier. Un souci innoui de
l'image, tant dans le cadrage que la direction photo nous surprend chez
Wilder. Est-ce bien le même qui réalisa Seven Year
Itch? Étonnamment, oui. La réalisation dans ce film
atteint des sommets glorieux, créant des scènes mémorables,
historiques, qui nous hantent même longtemps après le visionnement.
Du grand et du vrai bon cinéma.
Sunset Boulevard est d'une importance capitale et indéniable
dans le domaine du cinéma. C'est aussi l'un des seuls bons films
qui représente le domaine du cinéma tel qu'il est avec
8 1/2, Adaptation et The Player. Sunset Boulevard,
avec une grande humilité, accepte son identité et dénonce
son système. Un grand réalisateur, avec un grand message
et un grand casting qu'est-ce que ça donne? Un des plus grands
films de l'histoire du cinéma, rien de moins. À défaut
de pouvoir détruire physiquement les lettres qui forme le mot
Hollywood, il en tire le voile de son charme illusoire. Chapeau bas
Monsieur Wilder, je m'incline.
Version française :
Sunset Boulevard
Scénario :
Charles Brackett, Billy Wilder
Distribution :
William Holden, Gloria Swanson, Erich von Stroheim,
Nancy Olson
Durée :
110 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
23 Septembre 2004