SUBURBS (2004)
Vinko Möderndorfer
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Film d'une grande cruauté sur la xénophobie et la jalousie,
La Banlieue, premier long-métrage du Slovène
Vinko Möderndorfer, est un véritable coup de poing en plein
visage qui s'apparente, entre autre, à l'excellent Nèg
que Robert Morin nous avait asséné il y a de cela quelques
années. Mais c'est en fait notre mode de vie au grand complet
que prend comme cible Möderndorfer avec son film: notre incapacité
à faire de nos rêves des réalités et notre
complaisance malsaine face à la médiocrité. Ses
personnages patibulaires sont peut-être d'une certaine façon
des victimes de leur milieu, mais c'est la facilité avec laquelle
ils en embrassent les horreurs qui font d'eux de véritables monstres.
Car on ne peut que qualifier de monstres les individus pathétiques
et abjects qui habitent cette banlieue peu recommandable de l'existence
humaine.
Le triste Marjan (Renato Jencek) se remet fort difficilement du suicide
de sa femme. Il faut dire qu'il passe ses soirées à boire
son malheur avec trois amis, tous les quatre assis complètement
amorphes devant une allée de quilles qui n'a pas vu l'une de
leurs boules rouler depuis belle lurette. L'entourage du pauvre Marjan
n'a rien d'enviable; un ivrogne brulé, une brute sans cervelle
et un masturbateur chronique qui tuent des chiens abandonnés
pour passer le temps. Mais le comble du malheur demeure deux jeunes
étrangers, ses nouveaux voisins, qui baisent bruyamment du matin
au soir, l'empêchant de vivre son deuil en paix. Insouciants,
jeunes et heureux, les nouveaux arrivants viennent rappeler à
Marjan combien son existence est misérable. La fille est belle,
leur vie sexuelle passionnée...et leur café est bien meilleur
que le sien. Lentement, sa haine pour eux grandit. Toutes les raisons
sont bonnes pour détester l'autre. Finalement, ses comparses
et lui décident de les filmer dans leurs ébats, geste
en apparence anodin qui révèle l'ampleur de leur crainte
de l'inconnu, leur jalousie aveugle et le terrible manque d'ouverture
d'esprit dont ils font preuve.
Mais Marjan comprendra progressivement que l'existence de ce jeune couple
n'est pas le paradis de plaisirs charnels et d'insouciance juvénile
qu'il avait imaginé. Chacun possède ses démons
et ses déboires, et l'étranger qui semblait si heureux
est finalement un pauvre bougre qui tout comme lui connais des jours
moins roses. Il est toutefois trop tard pour faire marche arrière.
De la même façon, si La Banlieue débute
sur le mode de la comédie noire, le ton du film se fait de plus
en plus lourd jusqu'à atteindre ce point où la comédie
tourne au drame. Oeuvre crue, directe et déstabilisante, cette
Banlieue choque et provoque la réflexion, ou du moins
la réaction. Si le film possède son lot d'images fortes,
Möderndorfer sait tempérer la barbarie avec une dose de
sensibilité. De plus, ses personnages demeurent engageant malgré
le profond dégout qu'ils provoquent chez le spectateur. Il réussit
à saisir l'humanité d'êtres dont les agissements
sont inhumains sans pour autant compromettre la force de sa charge,
la violence de son propos.
Sans tomber dans la facilité, le film se permet une finale moins
nihiliste que ce à quoi l'on aurait pu s'attendre dans un tel
climat. Car Marjan saisit la gravité des actes desquels il a
été le complice, et il semble naitre en lui l'étincelle
de révolte nécessaire pour qu'il puisse se libérer
du milieu abject dans lequel il se vautrait paresseusement. Impossible
de savoir s'il y arrivera, mais le film de Möderndorfer, lui, atteint
tous ses objectifs haut la main. La Banlieue crée l'inconfort,
certes, mais c'est d'abord et avant tout une première oeuvre
de fiction forte, de nature critique et sauvage, qui vient chercher
le spectateur par les cordes sensibles et lui crache son message en
plein visage. À prendre où à laisser...
Version française :
La Banlieue
Version originale :
Predmestje
Scénario :
Vinko Möderndorfer
Distribution :
Renata Lencek, Silvo Bozic, Alenka Cilensek, Silva
Cusin
Durée :
90 minutes
Origine :
Slovénie
Publiée le :
12 Octobre 2004