STRANGE CIRCUS (2005)
Sion Sono
Par Jean-François Vandeuren
2005 aura été une année pour le moins exceptionnelle
pour Sion Sono. D’une part, le cinéaste japonais reformula
entièrement la prémisse de son décevant Suicide
Club pour nous entraîner dans les rouages d’une trame
narrative hyperactive jubilante avec le fracassant Noriko’s
Dinner Table. Sono accoucha ensuite de Strange Circus
: un délire psychotique volontairement agressif dont le titre
n’aurait pu être mieux choisi. Le réalisateur aborde
ici le sujet délicat de la pédophilie d’une manière
particulièrement brutale. Nous nous retrouvons ainsi à
l’intérieur de l’esprit d’une jeune fille dévastée
par les abus sexuels et psychologiques de son père sur sa personne
et sa mère. La fillette partage alors avec nous sa tourmente
à travers ses pensées et sa perception de la réalité
devenant de plus en plus confuse. Par la suite, Sono nous introduit
à une auteure dont le nouveau roman traite étrangement
du cas de cette jeune fille. Simple fiction? Autobiographie? Ou ne s’agirait-il
pas plutôt de l’histoire de quelqu’un d’autre?
Noriko’s Dinner Table n’aura finalement pas été
qu’un simple exercice de style dans la filmographie du cinéaste
japonais. À l’image de son précédent opus,
Sion Sono alimente au départ ce Strange Circus d’une
narration en voix off exubérante, soutenant pour sa part la rythmique
effrénée d’une suite de séquences défilant
à une vitesse folle. Le réalisateur marque ensuite ses
élans d’une pause nécessaire pour le spectateur
qui pourra alors reprendre son souffle tout en donnant l’occasion
à Sono de préparer tranquillement le terrain pour un troisième
acte foudroyant.
Strange Circus forme ainsi un portrait plutôt inhabituel
des conséquences psychologiques pouvant découler de ce
type d’agressions physiques et mentales. Le génie de Sion
Sono se manifeste ici dans la manière complètement déjantée
dont il traite la psychose de son sujet au point d’en imprégner
le fonctionnement de son film et même de placer le spectateur
dans un état d’esprit similaire. Pour se faire, le cinéaste
s’en remit à un montage délirant et une mise en
scène marquant de diverses touches de poésie visuelle
et sonore cet étrange cauchemar dans lequel il désire
nous piéger. Il devient alors de plus en plus difficile de différencier
clairement ce qui découle du rêve et de la réalité
dans le contexte de l’effort. Le réalisateur garnit d’autant
plus son film de personnages et de situations tous plus extravagants
et dépravés les uns que les autres sans jamais faire de
compromis.
En soi, Sion Sono a toujours eu la réputation d’un cinéaste
adorant faire la vie dure à son public. Ces élans sournois
se traduisent cette fois-ci par une accumulation de scènes sordides
particulièrement démonstratives nous plongeant dans la
confusion la plus totale. Mais même si sa mise en scène
se veut des plus explicites, les efforts de Sono ne sombrent fort heureusement
pas dans la vulgarité ou la facilité. Certains accuseront
néanmoins le réalisateur japonais d’avoir été
trop loin avec Strange Circus. Il est vrai que plutôt
que de suggérer la nature abominable des gestes commis par le
père de la jeune fille, le cinéaste nous les présente
sans aucune retenue. En même temps, c’est cette agressivité
qui explique en grande partie le succès de l’entreprise.
Le tout prend évidemment la forme de nombreuses séquences
à caractère sexuel pour le moins troublantes à
l’intérieur desquelles Sono présente divers symboles
associables à l'univers de l’enfance complètement
déformés par les abus d’un monde typiquement adulte.
Nous nous enfonçons du coup à l’intérieur
de décors baroques aussi sublimes qu’inquiétants
sans avoir la moindre idée de la note sur laquelle cet exercice
tordu pourra bien prendre fin.
Le réalisateur japonais finit même par nous faire croire
à quelques reprises qu’il aurait lui-même perdu le
fil de son récit avant de confondre tous les sceptiques d’une
manière éblouissante sans jamais révéler
son jeu pour autant. Sono signe ainsi une œuvre on ne peut plus
imprévisible dont la lourdeur accablante devient rapidement enivrante.
Ce dernier positionne ainsi ses pièces à une vitesse démesurée
tout en apportant tout le soin nécessaire au bon fonctionnement
de cette impressionnante réussite narrative et technique. Le
cinéaste a visiblement gagné en maturité depuis
le juvénile Suicide Club. Une évolution qui lui
permet à présent de jouer comme bon lui semble avec les
attentes et la perception de son public sans que ses efforts tombent
forcément dans le travail de réflexivité. Même
si toujours aussi extrêmes, les intentions de Sono à titre
de metteur en scène sont désormais clairement définies.
Version française : -
Scénario :
Sion Sono
Distribution :
Masumi Miyazaki, Issei Ishida, Rie Kuwana, Mai
Takahashi
Durée :
108 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
30 Juillet 2006