STORIES OF DISENCHANTMENT (2005)
Felipe Gomez
Alejandro Valle
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il y a de ces films qui nous déstabilisent tant que l'on arrive
difficilement à en parler de façon cohérente par
la suite. Dans ces cas, écrire une critique devient un exercice
ardu et graver un jugement final dans le bronze de la postérité
une tâche frôlant l'impossible. Ce premier film du réalisateur
mexicain Alejandro Valle à tout pour tour à tour émerveiller,
choquer et emmerder et s'amuse surtout à brouiller toutes les
pistes possibles par confusion personnelle ou par inspiration décadente.
C'est encore à voir. Stories of Disenchantment est un
capharnaüm d'idées drôlement rassemblées en
un tout mi-cohérent, mi-débile que l'on peut au moins
qualifier de complètement bordélique. Mais encore, cet
hybride bizarre entre la science-fiction bigarrée, le cinéma
fantastique, l'horreur de série-B, le film porno cheap, la réflexion
pompeuse sur l'art et la comédie musicale semble parfois être
le résultat des cogitations bien maîtrisées d'un
réalisateur iconoclaste tout bonnement emporté par les
possibilités infinies du cinéma numérique.
Bref, on ose difficilement se prononcer sur cette mixture hétéroclite
qui, tout d'abord, cite visuellement Méliès avant d'enchaîner
les clins d'oeil cinématographiques humoristiques à des
films aussi variés que The Graduate, Lola Rennt
et Taxi Driver sans que l'exercice ne se métamorphose
en tentative désespérée d'insuffler une personnalité
à l'ensemble. Du caractère, le film de Valle en a à
revendre lorsqu'il crache à la figure du spectateur le majeur
bien étiré jusqu'au firmament. Empruntant parfois à
l'attitude narquoise des pionniers du cinéma trash et règle
générale à la naïveté béate
du cinéma étudiantà l'intellect adolescent foisonnant,
Stories of Disenchantment oscille entre l'arnaque et le génie
avec un plaisir tangible quoique tortueux.
Mais lorsqu'un héros, après avoir troqué son nombril
pour des ailes, voit son coeur s'éjecter de sa cage thoracique
pour lui partager ses émotions en chansons avec une grosse voix
de baryton, on comprend que le courage extra-terrestre de l'oeuvre en
question vaut à lui seul le détour. Ça y est, le
croisement tant attendu entre le mélodrame musical et le cinéma
gore a eu lieu! On réfère aux films du duo Jeunet et Carot
ainsi qu'à l'imagerie de Gilliam pour nous vendre cet OVNI sauté.
Sauf que Valle, à défaut de faire preuve du bon goût
ou de la cohérence stylistique de ces réalisateurs d'un
calibre difficilement égalable, peut se vanter de ne nécessiter
aucune comparaison à d'autres afin d'être décrit
de manière apte.
S'il tombe encore trop facilement dans le sexe gratuit et la culture
de l'étrange pour la simple excitation que procure l'étrange,
si son symbolisme fascinant ou maladroit selon l'occasion est encore
chargé à outrance, Valle a le mérite de s'insurger
avec les moyens du bord contre le statut quo et la banalité.
Son cinéma baroque trituré à l'extrême lors
d'un montage numérique opaque et plastique des images frôlant
parfois le surréalisme maniéré. Valle sombre parfois
dans une esthétique de vidéoclip sans subtilité
aucune. Mais ça ne fait qu'amplifier l'impression de décadence
colossale qui émane de sa première oeuvre.
Alors on pardonne cette narration en voix-off nageant entre la poésie
et le nombrilisme pur, cette réflexion un peu vague sur la création
et cette interminable scène de rave privé où le
film de Valle n'arrive à dénicher ni l'exubérance
ni la tension lugubre qui devrait s'en dégager. On pardonne tout
ça parce qu'à défaut d'être parfait, Stories
of Disenchantment témoigne d'une vitalité créative
qui, portée à pleine maturité, pourrait vraiment
mener à quelque chose de vraiment bon. À l'heure actuelle,
Alejandro Valle est encore trop confus pour harnacher correctement tout
le potentiel de son univers débonnaire. Mais avec un effort mieux
dirigé, peut-être a-t-il le potentiel de devenir le réalisateur
éclaté et imaginatif que promettent les scènes
les plus inspirées de son premier essai, fort surprenant à
défaut d'être complètement abouti.
Version française : -
Version originale :
Historias del desencanto
Scénario :
Alejandro Valle
Distribution :
Ximena Ayala, Mario Oliver, Fabiana Perzabal, Teresa
Rabago
Durée :
120 minutes
Origine :
Mexique
Publiée le :
20 Octobre 2005