STILL ORANGUTANS (2007)
Gustavo Spolidoro
Par Louis Filiatrault
Au niveau le plus élémentaire qui soit, et si besoin il
y a vraiment, la première qualité de Toujours Orang-outans
est de constituer un habile rappel des progrès techniques du
cinéma depuis sa naissance. Se présentant ouvertement
comme exploit colossal, le film brésilien s'inscrit en effet
parmi ce petit nombre de longs-métrages réalisés
en plan-séquence unique (ou ponctués de coupes «
invisibles ») ; filon dont on attribue généralement
la fondation au remarquable Rope d'Alfred Hitchcock. Mais au-delà
de cette dimension cinéphilique un peu froide, il convient de
souligner la fraîcheur et l'énergie créative palpable
de l'entreprise. En effet, une verve absurde, une relativité
spatiotemporelle ainsi qu'une exaltante matérialité physique
traversent l'oeuvre de façon réjouissante. Réalisateur
de courts-métrages depuis une dizaine d'années, Gustavo
Spolidoro fait preuve d'une assurance considérable, menant son
récit de la meilleure des façons, mais illustrant des
péripéties qui demeurent néanmoins sans grande
portée.
Si Toujours Orang-outans est bel et bien adapté d'un
roman du même nom signé Paulo Scott, il s'avère
difficile de s'en convaincre tant la narration atteint ici un degré
d'enlevante pureté cinématographique. Sans aucun doute,
les toutes premières scènes du film laissent craindre
le pire: une situation parfaitement déconcertante, un premier
protagoniste antipathique et plutôt mal interprété,
ainsi qu'une instabilité de l'image quelque peu agaçante
menacent de confiner l'exercice au domaine du banal. Mais les choses
se rétablissent bien rapidement, au moment d'embarquer dans un
autobus pour une destination inconnue, alors qu'une nouvelle saynète
installe un rythme qui ne rencontrera que de rares baisses (transports
et contrainte de la continuité obligent). C'est d'abord l'esprit
et l'humour des dialogues, la chaleur et l'abandon des comédiens
qui frappent. À cet égard, la scène où deux
amants éméchés s'adonnent à toutes sortes
de folies sur le plancher d'un appartement s'avère tout à
fait mémorable, évoluant de façon à la fois
surprenante et inévitable. À ce moment et à d'autres,
Spolidoro et son équipe cadrent et captent la pulsion de vie
comme personne, ne laissant aucun répit à leurs sujets
soumis aux développements les plus rocambolesques.
L'imprévisibilité est donc le premier atout de l'expérience
proposée par Toujours Orang-outans. Structuré
comme un film à sketchs, son intérêt est de tirer
la pleine matière physique, dramatique ou comique de ses morceaux
autonomes tout en s'acharnant à les raccorder de façon
originale. En ce sens, l'épisode de cauchemar claustrophobe,
situé dans un assortiment de chambres et de couloirs, impressionne.
Rappelant par son ambiance le vieux Polanski ou les meilleurs passages
du Inland Empire de Lynch, il se glisse dans l'ensemble de
façon parfaitement naturelle. Il en va de même du rafraîchissant
retour d'un personnage d'enfant à un moment où on ne l'attendait
plus, ainsi que de l'escale finale dans une fête d'anniversaire,
témoignant d'une volonté d'introduire des situations nouvelles
et stimulantes jusqu'à sa toute conclusion. Car avant d'être
pensé en fonction d'un quelconque discours cohérent, Toujours
Orang-outans donne à voir des passions plus ou moins déchaînées,
une succession de revirements des plus logiques aux plus déroutants,
pensant le cinéma comme synthèse de l'irrégularité
humaine.
Sans pour autant la renouveler en profondeur, Gustavo Spolidoro rejoint
donc une tradition particulière de cinéma de l'acteur,
de Cassavetes à Jacques Doillon, en traitant le corps de façon
brute et la parole dans toute sa spontanéité, sa familiarité.
Il encadre ce caractère improvisé d'un dispositif chorégraphique
des plus rigoureux, dont l'ampleur géographique (opposée
à la proximité physique des interprètes) force
l'admiration. Plus maîtrisée que celle de Mike Figgis dans
le similaire Time Code, moins ambitieuse mais plus immédiate
que celle de Sokourov pour L'Arche russe, sa mise en scène
intimiste expose l'être humain dans son animalité, scrutant
ses expressions et s'en rapprochant jusqu'à le déformer.
Certes, on pourra reprocher au film de réserver à sa métaphore
titulaire de l'homme-singe un traitement bien peu convainquant ; à
ce titre, la scène convoquant ce thème de la façon
la plus frontale (un auteur interpellant un parfait inconnu dans la
rue pour lui quémander un contrat de publication) s'avère
sans doute la plus étrange et la plus faible du film. Mais une
finale tout bonnement ahurissante rachète largement cet écueil,
interrompant brusquement le flux d'information mais laissant le spectateur
sur une impression des plus grisantes. Il en ressort au bout du compte
l'un des moments de cinéma les plus enthousiasmants du FNC 2008
(à défaut de compter parmi les plus marquants), ainsi
que la marque d'un réalisateur prometteur, dont on espère
néanmoins des efforts plus pénétrants.
Version française : Toujours Orang-Outans
Version originale : Ainda Orangotangos
Scénario : Gibran Dipp, Gustavo Spolidoro, Paulo Scott
(livre)
Distribution : Artur Pinto, Kayodê Silva, Janaina Kremer,
Renata de Lélis
Durée : 81 minutes
Origine : Brésil
Publiée le : 22 Octobre 2008
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