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STAR TREK (2009)
J.J. Abrams

Par Mathieu Li-Goyette

Pour chaque auteur de cinéma s’étant intéressé récemment à revisiter les années 60 et ce concept plutôt malléable (et à la fois peu défini) de « nostalgie », les contraintes restent généralement du même ordre : respect du mythe, respect d’un ancien et d’un nouveau public, renouvellement et mise à jour de la forme, puis enfin, lorsqu’on prétend un tantinet à l’originalité, le détournement de l’amalgame final en vue d’une certaine appropriation. Pour faire bref, si Haynes en ressort comme un certain maître à penser (Far from Heaven, I’m Not There), Raimi (Spider-Man), Singer (X-Men) ou ce même Abrams (dont le Star Trek s’avère une belle remise à neuf) font amande honorable. Ramener Star Trek à la vie après un désastreux dernier long-métrage (Nemesis) et des cotes d’écoute en baisse (Enterprise), c’est s’attaquer peut-être à l’ensemble iconographique né de l’image (télévisuelle d’abord) le plus étendu et le plus complexe du dernier siècle et à la fois l'un des plus ridiculisés et empreints de préjugés les plus indémodables. Car ayant donné plus de six différentes séries pour un total de plus d’une trentaine de saisons (avec autant d'épisodes abyssaux que de petits chef-d’oeuvres), elle trône en longévité dans l’histoire de la télévision. Car en périphérie, l’univers de Roddenberry a aussi donné l’occasion aux fans d’apprendre le Klingon, de se réunir par milliers une fois l’an, tout en léguant une série de longs-métrages dont ce onzième volet s’avère néanmoins l'un des plus réussis. Non plus légende comme le cinéma en recèle une bonne part, mais bien mythe à part entière, lorsque Star Trek est évoqué, c’est le plus souvent un monde et non pas des images qui viennent en tête; la filiation d’icônes populaires à clichés de cinéma se poursuit jusqu’à surpasser les barrières du déjà vu.

Non pas une ligne de dialogue célèbre, non pas une silhouette particulière, mais bien des formes, des tics et des personnalités qui - voilà une des nombreuses surprises de ce nouvel opus - ne dépendent plus d’un interprète (donc d’une ressemblance à l’ancienne image), mais bien d’un jeu de recognition avec le nouveau spectateur qui n’a souvent jamais été mis en contact avec le mythe originel. Au-delà de ce mécanisme assez stérile de nostalgie, Star Trek, de son simple nom, fait état d’une remise à neuf de la première série télé (celle qui avait premièrement présenté les Kirk, Spock, McCoy et cie.). Intrigue amorcée par un vortex temporel, rien de neuf sous l’égide du récit d’Abrams alors que le voyage dans le temps est provoqué par un vieux Spock (Leonard Nimoy, de retour dans son célèbre personnage) poursuivi par un vaisseau romulien absorbé dans une anomalie de l’espace-temps. Le capitaine romulien Nero (Eric Bana, particulièrement invisible), sorte de commandant fou à la recherche de sa vengeance inespéré, anéantit le premier croiseur de la Fédération des planètes unies qu’il croise en donnant l’occasion à un jeune enseigne de prouver sa valeur et de donner sa vie pour sauver celle de sa femme et de son fils naissant : James T. Kirk, futur commandant de l’Enterprise, sauveur ponctuel de l’univers et capitaine des capitaines de l’astronef U.S.S. Enterprise. Alors qu’un futur alternatif s’enclenche, les scénaristes Roberto Orci et Alex Kurtzman (collaborateurs habitués d’Abrams et Michael Bay) se donnent l’opportunité de mettre en place les bases d’un nouveau monde revampé et flanqué d’un budget que la série n’aurait jamais espéré.

Expliqué tout bonnement à la fois par le jeune et le vieux Spock en plein milieu de récit, le futur usuel a été chamboulé, nous venons littéralement d’effacer 40 ans de télévision au profit d’une nouvelle vision. Celle-ci, sublimée au rang de blockbuster, force le dernier (et maintenant premier) Star Trek a s’assurer la ferveur des foules pour survivre en ce 21e siècle où l’image de synthèse et le retour de la mode « science-fiction » (à la télé le très bon Battlestar Galactica, au cinéma The Day the Earth Stood Still, Terminator, Wall-E, et bientôt Avatar) force l’hégémonique série à s’accorder aux attentes élevées que représente la relecture d’une genèse. Alors qu’une intrigue amoureuse appliquée à des nouvelles tensions raciales entre humains et autres peuples intersidéraux donne l’espace nécessaire pour appliquer à une formule devenue poussiéreuse les mécanismes huileux du film d’été, l’iconographie de Roddenberry passe parfois vulgairement à travers le filtre contemporain du film à grand déploiement.

En cherchant à tisser un réseau de relations trop étroit entre leurs personnages, Orci et Kurtzman, pour contrecarrer la contrainte du temps et d’un équipage aux particularités et aux rôles bien précis, sont parvenus à réintégrer en un temps record la complicité des membres de l’équipage avec l’aide d’une gamme d’interprétations livrées avec justesse et énergie. Au risque de glisser parfois dans les caractères les plus surfaits du blockbuster (faire valoir, personnage exotique et spécialiste, mécano hurluberlu, intellectuel convié par ses émotions et sa passion : des traits qui sont soudainement surlignés à gros traits chez Abrams), l’ensemble parvient tout juste à se sauver des formules risibles des personnages typés; c’est là que le sens du spectacle du réalisateur surmonte les piège de la narration à la chaîne. Chargé de plusieurs instants aux connotations burlesques qui ne sont pas sans rappeler les lucratives leçons des mentors Spielberg et Lucas, c’est des trilogies d’Indiana Jones et de Star Wars que ce dernier épisode semble tirer toute sa force du récit d’aventure. Non pas vue comme une atteinte aux références canoniques de la série, c’est donc cette tension entre la production surfaite du film et le respect remarquable de l’esprit du sérial qui permet de rapidement mettre de côté les anciens visages et d’adopter les nouveaux jeunots.

Car mené par un jeune équipage de cadets, le premier vol de l’Enterprise et de son vieux capitaine Pike fait remplacer des personnages âgés, moins compétents, par de nouvelles recrues pleines de témérité et de compétences singulières. Séquence après séquence, l’équipage si connu s’assemble sous nos yeux. Sans aucune causalité logique, sans aucun sens du temps, c’est le pari de confier la continuité de son film aux structures classiques du scénario hollywoodien qui donne au film d’Abrams un dynamisme juvénile, qui charge son oeuvre d’une mécanique ludique qui n’a d’autres visées que, d’une part, satisfaire le spectateur qui y comprendra les clins-d’oeil et, d’autre part, émerveiller le nouveau venu par ce monde futuriste plus optimiste qu’il ne l’a jamais été. Cadencé au quart de tour, justifié par de constantes références au passé et à cette idée de passation entre générations, de devoir accompli envers ses aïeux, Abrams se nomine porteur du flambeau d’une nouvelle série et ses personnages, eux, dignes héritiers de leurs ancêtres (Kirk à son père, Spock à sa mère, les deux parents uniquement décédés dans cette nouvelle réalité).

Orphelins, symétries d’une tangente sur laquelle l’ennemi Nero ne cesse de briser les lignes directrices, l’ancien Trek se démolit à mesure que le nouveau s’édifie et trouve ses nouvelles problématiques. Nero, qui décide d’anéantir la planète Vulcain, de renvoyer la pareille en mémoire de son peuple lui aussi disparu (dans un futur qui n’existera jamais), incarne cet empereur du même nom qui, dans une folie destructrice, mit le feu à l’empire, mit ici le feu à toute une franchise. Celle-ci enfin redorée par une mise en scène dynamique et présentant un futur diamétralement opposé aux mondes post-apocalyptiques que nous avons été habitués de côtoyer récemment (c’est d’ailleurs l’Avatar de Cameron qui semble confirmer cette nouvelle manie au futur optimiste, nouvelle présidence et fin de décennie oblige; il faut toujours aller selon le courant), Abrams atteint autrement des sommets techniques dans la minutie des effets sonores, le déploiement démesuré des effets de synthèse et une nouvelle bande originale qui convoque avec le même respect la magnificence du célèbre vaisseau. Enluminé par un éclairage transperçant constamment le cadre, c’est toujours devant un jeu d’éblouissements, de réflexions et de miroirs colorés que le cinéaste fera office de guide pour ce tour de manège allant d’une pléthore de mouvements extravagants.

Et au travers de ce nouvel attirail technique, c’est encore les figures qui demeurent inchangées. Les souvenirs qui demeurent plus forts que l’événement vécu. La silhouette du croiseur qui s’intensifie, parvient au rang de légende populaire. En s’appropriant les inspirations narratives de ses prédécesseurs, on y lit Moby Dick et son capitaine Achab autant que l’immensité des mondes d’Asimov, on y déchiffre l’héritage de la science-fiction de série B tout à coup en parfaite concordance avec les grands récits de conquête de l’inconnu vantés par le western américain. Les inspirations demeurent, les fioritures évoluent. Les histoires se complexifient, leur affect demeure identique. Permettant l’évasion dans ce décors étoilé, le coup de dés d’Abrams est réussi, le mythe reste en vie, décoré par de nouvelles lettres de noblesse qui lui permettront d’ « aller là où l’homme n’est jamais allé ». Refondé, c’est à juste titre qu’à présent, c’est vers de nouveaux horizons et vers de nouvelles innovations que la série devra se diriger, car si la maîtrise peut parvenir à excuser les intentions, il n’y a pas un spectateur qui se laissera berner par un deuxième volet qui tanguerait de nouveau vers des cieux si aisés.




Version française : Star Trek
Scénario : Roberto Orci, Alex Kurtzman
Distribution : Chris Pine, Zachary Quinto, Eric Bana, Karl Urban
Durée : 127 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 23 Novembre 2009