STARDUST MEMORIES (1980)
Woody Allen
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Si Interiors était sans l'ombre d'un doute inspiré du
cinéma de Bergman, Stardust Memories est pour sa part l'essai
Fellinien de Woody Allen et plus précisément sa tentative
d'offrir son propre 8 1/2. Il est inévitable que Stardust
Memories soit comparé au chef-d'oeuvre du réalisateur
italien car les similitudes entre les deux films sont frappantes tant
au niveau du propos que de la réalisation. En fait, l'introduction
du film d'Allen sera si familière à quiconque ayant vu
8 1/2 que l'hommage frôle presque le plagiat, ou à
un autre niveau la parodie. Heureusement, Allen, sans transcender sa
source d'inspiration, réussit à ancrer solidement Stardust
Memories dans son univers caractéristique, inimitable même,
et parvient par la même occasion à offrir l'une de ses
oeuvres les plus accomplies et personnelles. De toute façon,
le réalisateur new-yorkais va lui-même jusqu'à rire
de l'évidence presque caricaturale de ses influences grâce
à un humour auto-critique d'un raffinement remarquable, question
d'apaiser les sceptiques. Lorsque l'on demande à l'acteur interprété
par Tony Roberts si une scène d'un film de Sandy Bates (Woody
Allen) fait référence à une séquence d'House
of Wax, film d'horreur des années 50 mettant en vedette
Vincent Price, celui-ci déclare en toute franchise qu'ils l'ont
carrément copié.
Telle est la nature même de Stardust Memories, film de
la perpétuelle remise en question qui avait riposté à
toutes les critiques que l'on peut soulever à son sujet avant
même qu'elles n'aient été formulées. Tentative
trop évidente et consciente de créer un film «artistique»,
dites-vous? Une productrice émet exactement le même commentaire
après avoir visionné le nouveau film de Bates. Stardust
Memories traite d'une crise artistique, de ce moment dans la vie
d'un créateur où il ne sait plus dans quelle direction
aller et en vient carrément à remettre en question l'utilité
de l'art dans ce monde. De plus, Allen y traite de l'ambigüité
de la relation entre l'artiste et le public, de ce rapport haine/amour
qui existe entre les deux. Sandy Bates est un auteur comique qui a décidé
qu'il en avait assez de faire rire, au grand dam de ses plus fervents
admirateurs qui voudraient qu'il continu à produire des films
dans la veine de ses «early funny ones» jusqu'à
la fin de ses jours. En ce sens, ce personnage reflète de façon
évidente les états d'âmes d'un Allen dont le premier
film purement dramatique, Interiors, venait d'être accueilli froidement
par un public et une critique sceptique face à la métamorphose
radicale qu'avait tenté Allen.
Tout en étant un retour à l'univers de la comédie,
Stardust Memories poursuit dans la même veine mélancolique,
mais ce de façon beaucoup plus élégante que son
prédécesseur car il n'aurait pu être fait par un
autre que l'illustre New-yorkais. En fait, les dialogues typiquement
Alleniens de Stardust Memories sont parmi les meilleurs de
l'auteur et recèlent certains de ses gags verbaux les plus savoureux.
Sachant doser ses sombres réflexions par une bonne dose d'humour,
Allen offre une comédie d'une rare profondeur psychologique.
Contrairement au cas Interiors, où il semblait presque
se dissimuler derrière une écriture autre que la sienne,
Woody Allen signe ici une oeuvre bien de son cru tout en poussant son
cinéma dans une nouvelle direction très onirique et à
la limite surréaliste. Souvenirs, extraits de films fictifs et
hallucinations se mélangent à la réalité
pour créer un univers éclaté que le réalisateur
filme avec une maitrise remarquable. En fait, Allen n'a jamais mieux
utilisé toutes les nuances de la création filmique qu'ici.
On détecte certes l'influence de Fellini à plus d'un endroit,
notamment lorsque vient le temps de filmer les foules étouffantes
et les grands espaces. Toutefois, ne serait-ce que par l'humour névrosé
inimitable qui le traverse et l'amour du vieux jazz qui en émane,
Stardust Memories est du Allen tout craché.
Sans atteindre le niveau de perfection du merveilleux Annie Hall,
sans contredit le film d'Allen par excellence, Stardust Memories
se hisse aisément dans les échelons supérieurs
de sa riche filmographie, au même niveau que ses formidables Manhattan
et Zelig. Non seulement une comédie merveilleusement
amusante, Stardust Memories est aussi un film sensible et intelligent,
où Allen fait bien plus que singer un grand maitre du septième
art, ce dont il a injustement été accusé par plusieurs.
Ce n'est pas non plus le règlement de compte vicieux et méprisant
d'un réalisateur frustré par l'attitude de son public
que certains y ont vu. Stardust Memories est plutôt une
oeuvre pleine de doute et d'angoisse, la dissection d'un esprit créateur
en panne d'inspiration et de conviction qui en vient à se remettre
en question à tous les niveaux. C'est aussi, plus simplement,
l'un des plus beaux et des plus drôles films de Woody Allen.
Version française :
Stardust Memories
Scénario :
Woody Allen
Distribution :
Woody Allen, Charlotte Rampling, Jessica Harper,
Tony Roberts
Durée :
91 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
20 Novembre 2004