SPINE TINGLER! THE WILLIAM CASTLE STORY (2007)
Jeffrey Schwarz
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Avec leur programme double Grindhouse, Quentin Tarantino et
Robert Rodriguez aspiraient à renouer avec le concept du «
film-événement » ; nostalgiques d'un certain contexte
de projection particulier, ils proposaient une expérience cinématographique
dépassant par sa nature l'objet-film. La salle elle-même
devenait l'objet de leur petit projet, leur film faisant irruption dans
tout le cérémonial associé au cinéma contemporain.
Mais Grindhouse, implicitement, posait la question: quelle
place occupe de nos jours le rituel de la projection? Spine Tingler!
The William Castle Story nous ramène pour sa part à
un âge d'or où le spectacle, non content de se dérouler
à l'écran, dominait la salle et guidait jusqu'à
la mise en marché du film. Réalisateur et producteur de
films d'horreur de série B, William Castle n'aura jamais accouché
d'un véritable classique du septième art. Cinéaste
médiocre mais homme d'affaires hors-pair, le créateur
de House on Haunted Hill devint roi du box-office entre 1958
et 1967 grâce à une série de films à gimmicks
qui misaient sur l'interaction avec leur auditoire pour voiler leurs
faiblesses. Castle aura mis en scène le réel au profit
de ses fictions, transformant ses projections en de véritables
événements sociaux. En ce sens, ses plus gros succès
allaient préparer le terrain pour l'explosion du phénomène
des films cultes - du notoire Rocky Horror Picture Show à
Polyester de John Waters.
Waters, l'un des nombreux réalisateurs invités à
venir rendre hommage à Castle, évoque la place privilégiée
qu'occupaient les films de l'auto-proclamé maître de l'horreur
dans son coeur de jeune homme. Avec la verve qu'on lui connaît,
l'auteur de Pink Flamingos se remémore l'enthousiasme
avec lequel il découvrait les nouveaux stratagèmes imaginés
par l'habile promoteur: l'Emergo!, qui faisait planer un squelette
gonflable dans la salle lors d'une scène-clé de House
on Haunted Hill, ou encore le Percepto!, siège
envoyant une faible décharge électrique aux spectateurs
assez braves pour aller voir The Tingler en 1959. Dans le 13
Ghosts de 1960, tourné grâce au fameux procédé
technique de l'Illusion-O!, le public pouvait choisir de voir
ou non les fantômes à l'écran grâce à
des lunettes en papier cellophane. L'année suivante, un «Fright
Break» de quarante-cinq secondes placé avant la conclusion
d'Homicidal offrait aux occupants de la salle trop terrifiés
pour assister à la fin du film l'option de quitter - et d'être
remboursés. Mr. Sardonicus donnait à l'auditoire
la chance exceptionnelle de décider du sort du personnage-titre.
Mais Castle, convaincu que personne ne voudrait l'épargner, ne
tourna qu'une seule fin à son prétendu film interactif.
Spine Tingler! multiplie ainsi les anecdotes savoureuses, pimentant
son portrait biographique très classique d'entrevues avec les
contemporains et la progéniture spirituelle du réalisateur
de Macabre: Joe Dante, Roger Corman, John Landis, Stuart Gordon...
Amusant, informatif et rythmé, Spine Tingler! est un
documentaire certes plutôt standard au niveau formel, mais parfaitement
exécuté, qui raconte avec une affection contagieuse la
carrière d'un personnage coloré ayant marqué à
sa manière le cinéma de genre. On nous sert, avec un respect
total des codes éprouvés, une sempiternelle success
story qui n'est pas sans rappeler d'autres films des dernières
années, tel The Kid Stays in the Picture sur la carrière
du producteur Robert Evans. Un brin mégalomane, William Castle
devint une figure publique renommée - plus grande que nature
- en s'adressant directement à son auditoire et en sillonnant
les États-Unis pour soutenir la sortie de ses films. The
Story of William Castle s'amuse à présenter sa rivalité
avec Alfred Hitchcock, admettant bien humblement que le cinéma
populiste du roi du gadget n'arrivait pas à la cheville des films
accomplis du maître du suspense. Malgré tout, le réalisateur
Jeffrey Schwarz complète son portrait du personnage en éclairant
sa participation à deux authentiques chef-d'oeuvres de l'histoire
du cinéma: The Lady from Shanghai d'Orson Welles et
Rosemary's Baby de Roman Polanski, qu'il espérait mettre
en scène lui-même...
Si les films de Castle nous apparaissent aujourd'hui comme des vestiges
poussiéreux de leur époque, petits plaisirs cinéphages
ludiques mais sans conséquences, la relation affective privilégiée
entre film et public dont ils ont encouragé le foisonnement perdure
de nos jours sous d'autres formes toujours aussi vitales. Parfait complément
au festival Fantasia, qui a eu la brillante idée de le glisser
dans sa programmation 2008, le documentaire de Schwarz rappelle qu'au-delà
du film lui-même c'est tout l'aspect communautaire et social de
la projection publique qui confère son sens et sa valeur à
l'institution cinématographique. À une époque où
les médias tendent à isoler, introduisant dans les foyers
des représentations toujours plus réalistes du monde,
la salle obscure se distingue de plus en plus en tant qu'anachronisme
chaleureux. L'événement cinéma peut encore, en
tant que rassemblement humain vigoureux, s'affirmer en tant que manifestation
culturelle pertinente ; encore faut-il l'investir de cette dimension,
le sauver de la trivialité ambiante qui menace constamment de
l'engloutir. Spine Tingler! célèbre à
cet égard la capacité d'un cinéma plutôt
modeste à se transcender, présentant par exemple une horde
de cinéphiles réunis pour apprécier The Tingler
- plusieurs décennies après sa sortie - bien installés
sur leur fauteuil Percepto!... Preuve qu'un gadget débile,
bien employé, peut permettre de renouer avec l'essence véritable
du cinéma.
Version française : -
Scénario :
Jeffrey Schwarz
Distribution :
Forrest J. Ackerman, John Badham, Diane Baker,
Steve Bickel
Durée :
82 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
22 Juillet 2008